Bibliosphère : Vivre une vie philosophique – Michel Onfray


Vivre une vie philosophique

Thoreau le sauvage

Michel Onfray

Le Passeur Editeur, septembre 2017


Vivre une vie philosophie, le dernier livre de Michel Onfray, tout juste sorti des rotatives il y a quelques jours, papier encore chaud presque fumant, célèbre le bicentenaire de la naissance du philosophe américain Henry David Thoreau. Les dates anniversaires sont toujours propices à ce genre d’exercice de style. Mais en l’occurrence, Thoreau est comme un vieil ami pour Michel Onfray – l’amitié d’un auteur que l’on admire est très particulière, elle puise au plus profond de notre intimité, une sorte de dialogue intérieur s’opère, il nous semble que cet ami n’existe que pour nous et par nous, et pourtant, nous ne connaissons rien de lui, je veux dire, rien d’essentiel : ni la hauteur de sa voix, ni ses manières, ni l’éclat de ses yeux, ni la grâce de ses mouvements, ni son sourire… Un ami, donc, auquel Onfray avait consacré quelques heures de cours à l’Université Populaire de Caen.

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Qui était Thoreau

Henry David Thoreau est un philosophe américain (1817 1862) qui appartenait au courant transcendentaliste créé par son ami Ralph Waldo Emerson (avec qui il entretenait une relation un peu difficile d’ailleurs). Né à Concord dans le Massachussetts, et après de brillantes études à Harvard, il mène une vie simple, dépouillée, près de la nature et loin des hommes, une vie de « sauvage » pour reprendre le sous-titre du livre. Homme bourru, un rien misanthrope, il s’engage néanmoins contre l’esclavage. Il fait partie de ces philosophes célèbres et méconnus, un paradoxe assez répandu dans cette discipline. De lui, on sait qu’il est à l’origine de la désobéissance civile, qu’il a vécu loin de la civilisation dans une cabane au fond des bois, tout près du lac de Walden – dont il a tiré le titre de son livre le plus célèbre. Sa réputation le précède, et pourtant, comme toujours, le personnage est plus complexe que les cartes-postales qui lui collent à la peau. Dans Vivre une vie philosophique, Onfray rétablit la réalité biographique avec parfois un certain lyrisme, une ferveur qui nous emportent. Ce livre est un hommage, et l’admiration est contagieuse autant que salutaire.

Pour Michel Onfray, Thoreau est un exemple de philosophe ayant vécu une « vie philosophique » – d’où le titre. Qu’est-ce qu’une vie philosophique ? L’adéquation entre la pensée et l’action, l’action et la pensée ; la fusion entre les idéaux et la pratique quotidienne ; la coïncidence intime entre la vie que l’on mène et les valeurs que l’on défend. A quoi bon professer l’amour du prochain, la bienveillance, la réconciliation des hommes si c’est pour être dans le ressentiment, la négativité, la haine au quotidien ? A bas les grands discours faisant jouer des intentions mirifiques s’ils ne se doublent pas de la mise en pratique de ces intentions. Or, Thoreau à cette aune vécut une authentique vie philosophique. Lui qui prônait le détachement et méprisait les richesses, qui a théorisé le retour à la nature et célébré l’Indien comme figure tutélaire, qui a intellectuellement combattu l’esclavage a, réellement, construit sa propre cabane, pratiqué les longues marches solitaires, il a refusé de payer ses impôts lorsque ceux-ci finançaient l’esclavage et accepté la prison ; bref, il a mis la vie au diapason de la pensée. Cet homme mit sa liberté au-dessus de tout, refusant toutes les chapelles, les soumissions, ne se réclamant que de lui-même et de la “confiance en soi”, idée majeure du transcendantalisme. 

Thoreau et Onfray

Mais Vivre une vie philosophique n’est pas qu’un livre sur Thoreau : Onfray nous parle aussi de lui dans cet ouvrage. Le portrait de Thoreau est un autoportrait en creux de l’auteur. Quand il célèbre l’engagement libertaire de l’américain, c’est aussi de lui, le normand, qu’il nous parle. Lui qui est libertaire, amoureux de la nature, épris des leçons du cosmos… Et parfois, on se dit que Thoreau est un prétexte : quand il fustige avec la dernière violence les journalistes, comment ne pas voir qu’Onfray en profite pour critiquer notre modernité ? Et cela est justice d’ailleurs, car le passé est le meilleur outil pour penser le présent et l’avenir qu’il prépare. Car effectivement, le sauvage de Concord n’a pas de mots assez durs contre les journalistes : « Aucun pays, sans doute, n’a jamais été gounerné par une classe de tyrans aussi minables que ne le sont, à quelques exceptions près, les rédacteurs de la presse périodique dans ce pays ». Voilà qui est envoyé !

Le tempérament de Thoreau semble parfois bien proche de celui d’Onfray, leur amour éperdu pour la liberté, l’autonomie, l’insoumission et une certaine forme d’intransigeance sans doute. Tous les deux se retrouvent dans le critique de la philosophie institutionnelle et lui préfèrent une philosophie “existentielle” c’est-à-dire destinée à être vécue, praticable au quotidien.

Désobéissance ou résistance ?

Cela me mène naturellement, et pour finir, à quelques considérations politiques. Onfray l’affirme, Walden, l’ouvrage majeur de Thoreau, est une utopie politique – un genre d’Abbaye de Thélème. On aurait aimé quelques développements sur ce sujet, Onfray passe très vite, trop vite dessus. Il aborde aussi la question de la désobéissance civile, qui a inspiré Gandhi ou Martin Luther King. Ce concept est très subtil, et parfois dangereux à manier. En effet il peut justifier tout autant le meilleur que le pire, en subordonnant la légitimité de l’Etat à la conscience individuelle. Onfray rappelle à ce tritre l’intitulé exact du livre de Thoreau : Résistance au gouvernement civil. Or, la notion de résistance se distingue de celle de désobéissance, elle est plus subtile et moins sujette au dévoiement. Thoreau met en place une conception libertaire et libérale de l’Etat, mais c’est une conception là aussi subtile. Cependant, et Onfray le rappelle, à la fin de sa vie, l’engagement de Thoreau ira jusqu’à légitimer la violence, le meurtre, le sang. Impasse sans doute d’une forme de radicalité.

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Henry David Thoreau

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Walden, la vie dans les bois

Vivre une vie philosophique est un essai d’admiration, une incitation à aller plus loin dans l’œuvre considérable de ce philosophe américain. Il dessine aussi la perspective du transcendantalisme, et nous invite à une forme d’humilité vis-à-vis de la nature. Découvrir ou redécouvrir Thoreau, une belle ambition pour ce petit livre !

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