Penser l’écologie (1/2) : science et écologie, dialogue impossible ?

L’écologie est animée de vigoureux débats – tenant plus du pugilat – à propos de controverses scientifiques. La dernière en date est bien évidemment celle du glyphosate. On assiste souvent à une opposition entre d’une part un discours écologiste qui incrimine régulièrement telle substance, tel comportement ; et d’autre part un discours rationaliste, « sceptique », qui se base sur les études scientifiques pour démonter les arguments des premiers et proclamer l’innocuité desdits comportements et substances. On aurait donc un conflit entre les problématiques écologiques et les résultats de la science : glyphosate, OGM, ondes électromagnétiques, nucléaire… Pourtant, on ne peut se passer ni de l’une, ni de l’autre. Il faut donc penser un discours écologiste qui prenne au sérieux les résultats de la science, et qui fonde sa critique – plus que jamais nécessaire – sur un autre plan. Le but de cet article est de proposer un cadre pour une écologie soucieuse des résultats de la science. En négligeant ces résultats, en les rejetant dès lors qu’ils ne servent pas leurs intérêts, les écologistes se décrédibilisent et pire, décrédibilisent leur combat, le faisant passer pour une lubie de doux dingues finis aux champignons roses…

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[nectar_animated_title heading_tag=”h1″ style=”color-strip-reveal” color=”Extra-Color-2″ text=”Etude de cas : le glyphosate”]

Le glyphosate illustre à merveille ces rapports difficiles entre science et écologie. Entrons un peu dans le détail.

La promesse du candidat Macron en novembre 2017 d’interdire le glyphosate d’ici 3 ans ne sera finalement pas inscrite dans le marbre de la loi. Le « projet de loi sur l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable » voté le 30 mai dernier ne comporte pas la fameuse interdiction. Ce qui provoqua immédiatement une levée de bouclier dans les milieux écologistes, et mit encore une fois le Ministre de la Transition Ecologique et Solidaire, Nicolas Hulot, dans une position inconfortable.

Mais la question se pose : pourquoi vouloir interdire le glyphosate ? Cette molécule, conçue par la firme Monsanto sous le nom de « RoundUp » en 1974, est un herbicide “large spectre” massivement utilisé par les agriculteurs – « exploitants agricoles » comme on les appelle désormais – à travers le monde et en particulier en France. Tombée dans le domaine public en 2000, la France en consomme beaucoup, plus de 8 000 tonnes en 2016, pour une consommation mondiale de plus de 800 000 tonnes. Des chiffres qui donnent le tournis… De vives polémiques ont surgi quant à sa toxicité sur l’homme et les autres organismes vivants. Les milieux écologistes incriminent son potentiel cancérogène, ainsi que ses effets sur la faune aquatique. La firme Monsanto prétendait à sa mise sur le marché, que le “RoundUp” était biodégradable (on se souvient tous de cette pub à la télé montrant un chien rongeant l’os enterré dans le jardin…), allégation mensongère pour laquelle l’entreprise fut d’ailleurs condamnée plusieurs fois.

Traitement médiatique du glyphosate

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Iconographie réalisée par La Chèvre Pensante
(cliquez pour agrandir)

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Un certain nombre d’études scientifiques ont été réalisées, parfois sur de grandes cohortes suivies pendant des dizaines d’années, aboutissant à des recommandations d’organismes nationaux ou internationaux. Il existe aujourd’hui une quasi-unanimité de ces agences pour dire qu’il n’y a pas, à ce jour, de toxicité démontrée sur l’homme du glyphosate : agence européenne, allemande, française… Seul le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), organe de l’OMS, alerte sur un effet « probablement cancérogène » du glyphosate en 2015. Pourtant, c’est sur ce seul avis que se basent les « anti-glyphosate » pour réclamer son interdiction, au mépris de tous les autres. Les débats furent relancés avec une vigueur nouvelle après la révélation des « Monsanto papers » par le journal Le Monde en 2017. Ces documents, des échanges de courriels d’employés de Monsanto, montrent une forme de collusion entre l’entreprise de phytosanitaire et un certain nombre de chercheurs, de scientifiques, allant parfois jusqu’à dicter les rapports – forcément favorables – que ceux-ci allaient rendre. Démêler le vrai du faux de ses études est alors impossible. D’autant que les « pro-glyphosate » arguent du fait que les études incriminées par les « Monsato papers » ne sont que des études mineures, périphériques, non prises en compte par les agences pour rendre leurs recommandations. Ces arguments, on s’en doute, n’ont pas suffi à éteindre la polémique.

Enfin, l’un des experts du CIRC ayant contribué au classement du glyphosate comme cancérogène probable (Christophe Portier), est lui aussi soupçonné de conflit d’intérêt, puisqu’ayant travaillé avec un cabinet d’avocat américain qui avait engagé des poursuites contre Monsanto, et avait donc tout intérêt à ce que la firme fût condamnée. Cet expert, qui travaillait donc comme consultant pour ces avocats, fut tout de même rémunéré plus de 160 000 dollars. De quoi semer le doute…

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[nectar_animated_title heading_tag=”h1″ style=”color-strip-reveal” color=”Extra-Color-2″ text=”Science et écologie : l’amour vache”]

• Le cas glyphosate est représentatif à plus d’un titre des rapports entre l’écologie et la science. Tout d’abord, le décalage entre le résultat des études scientifiques et les discours écologistes dominants, qui se basent sur une seule recommandation pour justifier leur opposition. La raison commanderait plutôt de porter crédit à la majorité, et conclure, provisoirement, qu’en l’état actuel des connaissances – et j’insiste sur ce point – le glyphosate n’a pas de toxicité démontrée sur l’homme. Entendons-nous bien, cela ne signifie pas que le glyphosate soit inoffensif, simplement que si toxicité il y a, elle est probablement assez faible ou assez retardée pour ne pas être mise en évidence sur des cohortes suivies pendant des dizaines d’années (jusqu’à 30 ans). Cela ne signifie pas non plus qu’il faille se désintéresser de la question et cesser les études, au contraire. Mon propos n’est pas de défendre le glyphosate, mais plutôt de le combattre autrement.

• Ce cas illustre également le traitement médiatique de ces affaires. Globalement, la presse fait dans le sensationnel, l’irrationnel, quitte à faire peur. Ce n’est pas un scoop que de dire cela, mais s’agissant de science, on peut dire que tous les grands médias racontent à peu près n’importe quoi.

• Autre fait remarquable : la polarisation des écologistes sur des sujets accessoires ou périphériques. Plutôt que d’user des litres d’encre et de salive sur une question oiseuse, pourquoi ne pas se consacrer à d’autres tâches plus utiles ? Il y a suffisamment de produits toxiques, néfastes pour l’homme ou la nature, de souillures dans notre monde. Pour le symbole, répondra-t-on. L’interdiction du glyphosate serait le symbole d’une victoire sur le monde agro-chimique et phytosanitaire. La belle affaire, notre monde se meurt, et nous avec, qu’avons-nous besoin de symboles ? Ce ne sont pas des symboles qui tuent par brassées entières nos abeilles, qui massacrent la biodiversité, qui infectent l’air et corrompent nos fleuves et nos rivières ! Comme souvent, les luttes perdues d’avances se content de victoires symboliques pour prouver qu’elles servent à quelque chose. Nicolas Hulot en sait quelque chose.

• Les « sceptiques » et autres rationalistes se basent sur toutes ces études scientifiques qui, souvent, vont à l’encontre des préconisations des écologistes. Ils font, disons-le, aveuglément confiance à la science. Aveuglement il y a. Car ce que l’affaire du glyphosate montre également, et qui, justement, empêche d’avoir une foi totale envers les résultats scientifiques, c’est la compromission de certains scientifiques, voire leur corruption. C’est la fameuse affaire des « Monsanto papers » dont nous avons parlé. Certains résultats d’études sont trafiqués, maquillés, falsifiés, avec parfois le concours actif des scientifiques eux-mêmes, attirés par les sommes surement mirifiques que leur font miroiter les grandes compagnies de l’agro-chimique. Ces affaires de corruption, ou de conflits d’intérêts, existent, et les « sceptiques » sont pour la plupart incapables d’en tenir compte, ils se contentent de les balayer d’un revers de main. Que ces cas de malhonnêteté scientifique soient minoritaires n’est pas douteux, cependant, ils jettent un discrédit, ou du moins une suspicion souvent légitime sur tous les résultats scientifiques qui ont trait à des sujets sanitaires ou agricoles. Tous les discours « sceptiques » seront voués à être objets de méfiance tant qu’ils ne prendront pas ce problème à bras le corps.

• Cependant, insistons sur un autre point : l’écologie ne peut pas rejeter la science quand ça l’arrange. Soit on l’accepte, avec ses imperfections, soit on la refuse, mais il n’y a pas de demi-mesure. Un résultat scientifique ne peut se contredire que dans le champ scientifique, il est illusoire de croire que la morale ou le Bien seraient compétents pour réfuter un résultat de science. Autrement dit, contredire la science sur le cas du glyphosate ne peut se faire qu’à l’aide d’études contradictoires, ou en réfutant les méthodologies, en pointant les biais, ou les erreurs d’analyse des études antérieures. A moins, comme on l’a dit, de démontrer leur malhonnêteté ou leur corruption. Mis à part ce cas précis, seule la science peut réfuter la science. Et heureusement. Gardons-nous de conclure que la science serait donc omnipotente ou qu’elle serait le seul champ d’élucidation du monde. Car si la science est effectivement toute-puissante et ne souffre nulle concurrence à propos des questions scientifiques, il en va tout autrement sur les questions politiques, morales ou philosophiques. Une erreur terrible – souvent commise par les rationalistes et plus globalement les libéraux – est de faire déborder la science de son domaine de compétence. Au motif que la science est irréfutable dans son domaine, on fait comme si elle pouvait trancher des questions politiques ou autres. C’est la négation même de la politique donc de la démocratie, qui n’est qu’affaire d’opinion et non de connaissance. Il n’existe aucune discipline scientifique qui puisse trancher la question de savoir s’il faut ou non utiliser le glyphosate. La science nous dit comment le produire, quelles peuvent être ses conséquences éventuelles, c’est tout.

• L’attitude de refus de la science ne peut pas être acceptable pour un écologiste. C’est se tirer une balle dans le pied. Car nous avons plus que jamais besoin d’elle. Sinon, que répondre aux « climato sceptiques » ? Les scientifiques du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) nous alertent depuis des années sur le bouleversement climatique à l’œuvre. Récemment, 15000 scientifiques ont tiré la sonnette d’alarme sur l’état désastreux de notre planète. Refuser la science, c’est refuser cela aussi. On ne peut pas d’un côté reprendre les résultats des climatologues du GIEC et de ces 15000 chercheurs, et de l’autre, rejeter ceux des autres scientifiques qui déplaisent à la cause. Il faut faire avec, mieux, s’appuyer dessus. Cela rajoute à la méfiance généralisée à l’égard de la science que l’on observe dans nos sociétés. Méfiance hyperbolique puisqu’elle alimente toutes les théories du complot les plus farfelues et entraîne une méconnaissance grandissante des vérités de science. L’inculture scientifique croît, cela est inquiétant. Mais elle porte tout aussi bien à croire que la Terre et plate et que le réchauffement climatique est l’oeuvre des chinois. Encourager la défiance systématique vis-à-vis de la science se retourne immanquablement aussi contre l’écologie.

• On pourrait produire une critique presque similaire concernant les OGM. Là encore, la nocivité de ces produits est douteuse, les preuves manquent. Encore une fois, cela ne veut pas dire que les OGM soient des produits formidables. La vérité, qu’il faut accepter, est que nous n’en savons rien. Ce qui nous incite, certes à une prudence minimale, mais surtout à redoubler d’efforts pour établir la toxicité ou pas de ces substances. En revanche, les sceptiques nous obligent à penser une opposition à ces produits qui accepte, dans un souci de cohérence, les données scientifiques – provisoires, mais les seules, faute de mieux. Cela nous contraint, pour le meilleur, à affûter nos arguments, et à déporter le débat sur d’autres terrains, beaucoup plus fondamentaux. S’opposer aux OGM ne doit pas se faire au nom de l’hygiénisme ni de la sécurité alimentaire, mais, beaucoup plus profondément, d’une philosophie de la vie, de la nature et de l’homme. Paradoxalement, ces discours souvent très critiques à l’endroit de l’écologie, sont aussi un de ses meilleurs atouts. Dans le prochain article, nous essaierons justement d’élaborer certaines pistes de la critique radicale que doit porter l’écologie, critique philosophique, politique et morale, sans laquelle elle n’est qu’une vitupération sans fondement. La science, on l’a dit, n’a pas la compétence de régler les questions morales, politiques et philosophiques. C’est donc de ces questions qu’il convient de s’emparer pour fonder le discours écologique.

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NB : afin de dissiper les malentendus, je répète que je ne défends ni le glyphosate, ni les OGM, ni les pesticides, ni rien de la sorte. Pour interpréter la position que je prône, je vous renvois à l’article Fragments d’un discours écolo qui tente d’expliquer au nom de quoi l’on peut admettre que certaines substances soient inoffensives et tout de même s’opposer à elles.

NB 2 : tout débat sera le bienvenu, n’hésitez pas à réagir. Ces sujets sont complexes, et la vérité n’est jamais unilatérale.

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