[Présidentielle 2022] Contre Macron. Analyse du programme.


Présidentielle 2022

Contre Macron

Analyse du programme


En 2017 Emmanuel Macron était élu Président de la République française. La campagne présidentielle avait été d’une affligeante nullité – à l’image des candidats eux-mêmes – ce qui avait permis, dans une large mesure, d’éluder les programmes des différents concurrents. Qu’on se rassure, la campagne actuelle aura tôt fait de hisser la précédente au rang des plus grandes prestations d’intelligence collective, tant ce qu’on nous inflige en guise de « débats », de « décryptages » ou de « face-à-face » fait insulte à la raison. Moins que jamais les programmes, c’est-à-dire, faut-il le rappeler, les mesures plus ou moins concrètes que les candidats promettent d’appliquer et qui dessinent un cadre politique et une vision de la France, ne comptent dans cette campagne. Un candidat, plus que tous les autres, se repait de cette situation : Emmanuel Macron. Comme en 2017, il se réjouit que les propositions politiques soient reléguées à l’arrière-scène médiatique. Il n’a même pas à faire campagne ni à présenter de programme. Et pourtant, puisqu’il va sans doute être réélu, il est primordial de regarder en détail ce qu’il compte faire de la France. Ses intentions étaient déjà claires en 2017 : démonter les services publics, affaiblir les faibles, enrichir les riches, démanteler la souveraineté nationale, piétiner le cadavre de la démocratie, fragmenter le peuple. Ses intentions en 2022 le sont tout autant : ce sont les mêmes.

Le 3 mars 2022, Emmanuel Macron rendait publique sa Lettre aux Français, document dans lequel il déclarait sa candidature et livrait sa profession de foi[1]. On peut y lire un énième satisfecit du candidat, qui égrène les mensonges éhontés : « Grâce aux réformes menées, notre industrie a pour la première fois recréé des emplois et le chômage a atteint son plus bas niveau depuis quinze ans. Grâce au travail de tous, nous avons pu investir dans nos hôpitaux et notre recherche, renforcer nos armées, recruter policiers, gendarmes, magistrats et enseignants, réduire notre dépendance aux énergies fossiles, continuer à moderniser notre agriculture. Grâce à nos efforts, nous avons, avant la pandémie, réduit nos déficits et, tout au long du quinquennat, baissé les impôts de manière inédite. » La méthode Macron, celle qui a prévalu pendant 5 ans, se trouve confirmée : la réalité ne compte pour rien, il s’agit, par un discours performatif, de créer de toute pièce une réalité alternative. Nous sommes bel et bien dans ce que, après le règne Trump, il est convenu d’appeler des faits alternatifs, que valident un important travail de propagande, de falsification, de forgerie. Un travail de faussaire. Car le bilan est pourtant clair, et à l’opposé exact de ce que claironne le candidat et ses équipes de communication. Sur la seule question de l’emploi : baisse du chômage, mais forte hausse de la précarité comme nous l’annoncions dès 2017 ; hausse du « halo du chômage » ; radiation massive des chômeurs pour les exclure des comptes…[2]

Je ne souhaite pas, dans cet article, dresser un bilan du quinquennat. Mon objectif est de présenter le programme du candidat Macron, dans la droite ligne des mesures adoptées par le président Macron. Des mesures antisociales, régressives, brutales. La plupart des électeurs ne lisent pas les programmes. Certains même se contentent de déclarations d’intention, d’affiches, se fient à la communication politique, prennent pour argent comptant ce que disent les médias, votent pour un candidat parce qu’il est jeune, ou nouveau en politique. Les enquêtes montrent que les électeurs macronistes sont en réalité peu politisés, ne s’intéressent pas ou peu aux éléments de programme, qu’ils n’ont que des raisons superficielles et futiles de défendre leur candidat. Le vote Macron est avant tout un vote anti-politique et un vote de classe. Mais il est plus qu’urgent de repolitiser l’élection Présidentielle, avant tout en montrant ce qu’est réellement le programme de celui qui a toutes les chances d’être réélu. Qu’on ne puisse pas dire qu’on n’était pas prévenu. Prenons donc les propositions telles qu’elles figurent dans le programme mis en ligne par le candidat et ses équipes.

1/ Pour nos enfants

Première partie du programme présidentiel de Macron : l’école et la jeunesse. On lit que le candidat du nouveau mouvement « Avec vous » veut « poursuivre la transformation de notre système scolaire […] en refondant l’école ». C’est intéressant, car avant son premier mandat présidentiel, Emmanuel Macron avait fait de l’éducation « le premier chantier »[3]. Bis repetita… Il veut donc refonder l’école, dans la continuité de l’action du ministre Blanquer. Autrement dit, poursuivre la destruction de l’école républicaine. Avec, au passage, un terrible aveu d’échec puisqu’il propose de « mettre les mathématiques dans le tronc commun du lycée », alors que c’est lui qui a mis sur pied une réforme de démantèlement des disciplines au lycée, qui a détruit les filières L, ES et S et a retiré les mathématiques du tronc commun, alors même que le ministre Blanquer prétendait éhontément le contraire. Sa réforme du lycée détruit le baccalauréat et massacre la formation des jeunes. Macron veut en outre plus de français et de maths en primaire. C’est-à-dire qu’il propose ce qu’il avait rejeté, et ce que ses opposants avaient tôt dénoncé. Autrement dit, là comme ailleurs, nous avions raison. Autre désaveu, sur la plateforme d’orientation post-baccalauréat Parcoursup, que nous avions dénoncée, lorsqu’il annonce vouloir « rendre Parcoursup plus prévisible ». Parcoursup, qui organise la mise en concurrence généralisée des élèves, les plonge dans l’incertitude, le flou, l’arbitraire, en mettant en place des critères de sélection post-baccalauréat opaques, décourage les jeunes et les incite à suivre des formations privées, Parcoursup donc avait été violemment critiqué dès son instauration – toutes ces critiques se sont avérées justes. Macron le reconnaît à demi-mot, tout en maintenant mordicus son cap…

Autre mensonge : Macron veut « plus de sport : 30 minutes par jour en primaire, dès 2022 ». En voilà une intention louable sauf que… l’enseignement élémentaire intègre déjà 3h de sport par semaine, c’est-à-dire 36 minutes par jour[4]. Cela signifie que le niveau horaire de pratique sportive en primaire va en réalité baisser… C’est ballot.

Enfin, pour en finir sur ce sujet, Macron poursuit sa méthode d’autocrate qui avance masqué en voulant une « conférence des parties prenantes », simulacre de consultation des acteurs de terrain qui cache en réalité des décisions verticales et autoritaires, comme les 5 années passées nous en ont donné moults exemples. Il veut « mieux reconnaitre les enseignants » tout en leur proposant un « pacte » avec « de nouvelles missions et des rémunérations augmentées en conséquence ». Autrement dit, que les professeurs travaillent plus pour espérer gagner un peu plus. Si l’on ajoute la volonté de donner plus de latitude aux établissements quant au recrutement des professeurs, l’accent mis sur leur évaluation permanente (pudiquement baptisée « indicateurs de réussite au niveau le plus local »), nous sommes très loin d’une meilleure reconnaissance des enseignants, puisqu’il s’agit de les mettre constamment sous pression, sous la pression du ministère, des chefs d’établissements, mais aussi des parents et des élèves. Fait nouveau, Macron va mettre les enseignants en concurrence entre eux, il a déjà commencé à les diviser, à essayer de les monter les uns contre les autres, car c’est sa seule stratégie : diviser les citoyens, les opposer, faire monter les haines et les jalousies. « Vous avez des enseignants qui pendant le COVID ont été là, ce sont occupés de vos enfants. […] Il y a des enseignants qui ont fait le travail comme il se devait. Puis il y a des enseignants, ça a existé aussi, qui ont disparu. Ils sont tous payés aujourd’hui de la même manière. »[5] Macron sous-entend là, de façon parfaitement indigne, que certains enseignants ne mériteraient pas vraiment leur rémunération. A partir d’un exemple tout à fait anecdotique et invérifiable (il n’a aucun chiffre, aucune étude pour étayer son propos) il va, par effet de ricochet, jeter l’opprobre et le soupçon sur toute une profession, pour arriver à la conclusion que la rémunération des enseignants, finalement, ne va pas tellement de soi. Certains doivent être mieux payés que d’autres. Voilà comment il dresse les citoyens contre les enseignants, et comment il divise les enseignants et attise la mesquinerie et la jalousie. Tout cela pour justifier le fait de ne pas monter la rémunération des enseignants qui est, de notoriété publique, largement inférieure à ce qu’elle est dans le reste des pays de l’OCDE[6]. Les enseignants auront plus de missions, des rémunérations différentes, plus d’évaluation… Les établissements seront eux aussi évalués, notés, l’objectif étant à terme la disparition de la carte scolaire et donc la possibilité de choisir son établissement en fonction de ses “performances”. Il faudra alors, pour réguler les demandes, mettre en place des moyens de sélection à l’entrée dans ces établissements – ce qui profitera aux mêmes, et défavorisera les mêmes. Bref : toujours plus d’inégalité à l’école.

Macron veut donc encore plus précariser les enseignants, et encore moins attirer les jeunes vers ces carrières déjà désertées. Comment convaincre un jeune d’embrasser ce beau métier en lui disant qu’on ne le paiera mieux – c’est-à-dire décemment eût égard à son niveau de qualification – que s’il accepte de rajouter de nouvelles missions à l’exercice d’un métier qui, d’ores et déjà, rebute de plus en plus ? Ce qui est certain c’est que la situation de l’école ne va pas s’arranger, au contraire. Ce sera toujours plus de précarisation des enseignants du public, au profit des établissements privés. Toujours la même logique…

2/Pour notre santé

Un volet attendu du futur programme présidentiel : la santé. La crise du coronavirus a remis cette thématique sur le devant de la scène. On le sait, Macron a beaucoup promis pour le secteur (« quoi qu’il en coûte ») mais a, dans les coulisses, continué à le démolir pierre par pierre. En témoigne le nombre de lits d’hospitalisation qui n’a fait que diminuer d’année en année, diminution que Macron n’a rien fait pour enrayer[7]. Nous l’avons écrit, la médecine française se meurt, elle est volontairement attaquée par tous nos dirigeants successifs.

Face à l’urgence, que propose le candidat Macron ? Du vide, des mesurettes pour amuser la galerie pendant que la démolition se poursuite. Par exemple, il vaut « aux âges clés (25,45, 60 ans), un bilan de santé complet et gratuit ». En voilà une bonne idée. Il existe déjà un « examen de prévention en santé », proposé à tout assuré social du régime général. Mais il s’agit là de trois examens à des âges différents. Très bonne mesure, c’est une évidence. Néanmoins, ce n’est qu’un paravent pour masquer la destruction de la médecine publique française. Pas de quoi, donc, s’en réjouir.

Dans la même veine, des espèces de propositions totalement déconnectées du terrain, vides, nulles. Florilège : « une politique ambitieuse pour la santé des femmes », nous voilà bien avancés ; « des plans de détection et de prévention relatifs à la santé mentale, à l’infertilité, à la drépanocytose… », un fourre-tout abstrait ; « pour les patients ayant une maladie chronique, un accompagnement personnalité et connecté ». Comme si les médecins avaient attendu Sa-Seigneurie-Macron-qui-guérit-les-écrouelles pour accompagner les maladies chroniques, dépister la drépanocytose etc. On pourrait rire d’un candidat qui brasse tant d’air, mais il y a derrière cette bouillie une véritable politique qui, elle, doit nous inquiéter. Car le plus important, dans le domaine de la santé, ne se trouve pas dans là, mais dans le programme budgétaire et économique. On peut vouloir « un pan de recrutement d’infirmiers et d’aides-soignants », mais si les conditions de travail et les salaires sont tels que tous les personnels ne rêvent que de quitter l’hôpital, on ne fait que brasser de l’air. De même, si on ne propose pas de chiffrage précis, on ne fait qu’agiter des mots creux. On peut vouloir « relocaliser en France la production de médicaments » mais en restant dans l’Union Européenne et en mettant en place une politique de concurrence généralisée et de précarisation de la recherche ou de l’industrie, là encore, on se paie de mots.

Qui peut croire que Macron va protéger la santé des Français, lui qui a délibérément provoqué des milliers de morts lors du COVID, comme nous l’avons démontré et dénoncé ? Il va bien sûr, comme il l’annonce dans sa conférence de presse, amplifier la politique déjà mise en œuvre. Par exemple, le diable se cachant dans les détails, en permettant à des infirmiers ou pharmaciens « référents » de faire des « renouvellements d’ordonnances » sans que le patient ait à aller chez un médecin. Mesure terrible, mesure inconcevable, mesure qui banalise l’acte de prescription, qui banalise la prise de médicaments, qui va à rebours complétement de ce que devrait être une véritable politique de prévention en santé. La première des préventions, c’est en effet d’éviter les effets indésirables médicamenteux autant que possible ; pour cela il faut à chaque fois réévaluer les indications de tel ou tel médicament, vérifier que la posologie soit la bonne, qu’il n’y ait pas entre temps de nouvelles contre-indications ou de nouvelles interactions médicamenteuses, que les données biologiques du patient n’aient pas changées, que la surveillance imposée par de nombreux médicaments soit bien faite etc. Il faudrait, au contraire, permettre aux médecins de rallonger la durée des consultations de renouvellements. On voit bien, à l’occasion d’une mesure d’allure anodine, que la santé passe toujours derrière l’économie dans le « logiciel » de nos dirigeants.

3/Atteindre le plein emploi et mieux vivre de son travail :

On entre dans le dur du programme. Le pire des régressions sociales est là.

Tout d’abord, un mot sur la mesure phare pour le pouvoir d’achat du candidat Macron : « tripler la prime dite « Macron » sans charges ni impôts », cette prime créée en 2019 pour apaiser les gilets jaunes, versée par les employeurs qui le souhaitent aux employés gagnant moins que 3 fois le SMIC et plafonnée à 1000 € (ou 2000 € sous conditions)[8]. Ainsi, Macron annonce que les entreprises (ou administrations) pourront verser jusqu’à 3000 € (voire 6000 € si accords d’intéressement) par an de primes défiscalisées à leurs salariés. Voilà pour l’effet d’annonce. Mais quand on regarde la réalité, il faut s’intéresser aux effets réels de la mesure. L’Insee a regardé comment et par qui avait été versée la prime au cours de l’années 2019 (les évaluations pour les années ultérieures ne sont pour l’instant pas disponibles). Résultat : « plus de 400 000 établissements ont versé près de 2,2 milliards d’euros à 4,8 millions de salariés, soit en moyenne 401 euros par salarié bénéficiaire »[9]. C’est pas mal, certes, mais on est loin des 1000 € annoncés. On peut donc tripler, quintupler, centupler le plafond de la prime si on veut, si les employeurs n’ont que 400 € à consacrer à cette prime par salarié, cela n’y changera rien, ou alors à la marge. Mais il y a pire, car ce que le rapport de l’Insee nous apprend, c’est que, pour les entreprises, cette aide défiscalisée a, dans nombre de cas, été une sacrée aubaine pour ne pas monter les salaires – sur lesquels les salariés cotisent, pour leurs retraites notamment. En effet, « des établissements auraient sans doute versé, sous une forme différente, au moins une partie du montant de cette prime en l’absence de cette mesure. Net de cet effet d’aubaine, l’effet de la prime exceptionnelle sur la hausse des salaires est donc sans doute inférieur au montant versé par les entreprises au titre de cette prime. »[10] L’Insee estime à 40% ces effets d’aubaine – ce qui est énorme. La proposition phare du candidat Macron pour le pouvoir d’achat apparaît clairement comme une escroquerie dont le seul but est de créer un effet d’annonce sur les plateaux télés, devant des journalistes conquis. Loin, très loin d’une politique ambitieuse de hausse du pouvoir d’achat.

Le marcheur veut en outre « baisser les charges pour les indépendants », c’est-à-dire, en réalité, baisser les salaires, car il faut toujours rappeler que les cotisations sociales (et non les « charges » selon ce terrible mot emprunté à la droite) sont, pour beaucoup, une forme de salaire différé. Baisser les cotisations, c’est toujours, d’une façon ou d’une autre, diminuer le pouvoir d’achat réel, tout au long de la vie, des travailleurs.

Mais là où le vrai visage du candidat se dévoile, c’est bien sûr lorsqu’il s’agit de saboter l’Etat social. Macron veut créer un « RSA conditionné à une activité effective qui permet l’insertion », c’est-à-dire, comme il le précise dans sa conférence de presse à 15 à 20 heures d’activité professionnelle par semaine. Il ne précise pas exactement la nature des activités en question (bien que la ministre du travail ait précisé qu’il ne s’agirait pas de travail d’intérêt public), mais on devine qu’il s’agit de toute façon d’accroître une forme de contrôle sur les citoyens les plus précaires, avec l’idée sous-jacente que la société a un droit de regard sur l’argent des pauvres[11] et que les pauvres le sont parce qu’ils ne font rien pour ne plus l’être. Rappelons que le RSA est actuellement à 575.72€ par mois, c’est moins qu’une aumône. Macron a l’indécence de dire que cette mesure permettrait l’insertion des personnes au RSA, soit près de 800 000 personnes[12], se félicitant au passage des « bons » chiffres du chômage – au plus bas – et du taux d’emploi – au plus haut. Mais toute cette rhétorique et tous ces chiffres masquent la triste réalité : l’emploi en France se précarise. Macron a créée, durant son premier quinquennat, les conditions de cette précarisation croissante, nous y sommes. Mais il a aussi tellement durci les conditions d’accès aux allocations chômage que les travailleurs sont de plus en plus prêts à accepter n’importe quel emploi, même peu qualifié et même s’il ne correspond pas à leurs compétences. Au fond, c’est toute l’idéologie du « traverser la rue » qui s’exprime : les travailleurs doivent être prêts à faire n’importe quoi, avec le moins de protection possible. C’est la négation de la « valeur » travail que prône pourtant Macron, car le travail n’est « émancipateur »[13] qu’adossé à un savoir-faire, une compétence, une expertise – exactement ce que Macron considère comme superflu. Un travailleur ne peut s’épanouir que s’il n’est pas un simple instrument interchangeable – ce qui est la vision promue par le candidat. D’ailleurs, il prévoit de durcir encore davantage le contrôle des chômeurs et les conditions d’attribution des allocations chômage, puisqu’il annonce une « assurance chômage plus stricte quand trop d’emplois sont non pourvus, plus généreuse quand le chômage est élevé ». Or, nous vivons une situation dans laquelle le chômage est certes élevé, mais aussi dans laquelle « trop d’emplois sont non pourvus », ce qui signifie que, dans toutes les situations, l’assurance chômage devra être « plus stricte ».

Enfin, arrêtons-nous sur ce qui sera le coup le plus dur porté contre la République sociale : « le relèvement progressif de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans ». Mesure qui pourrait bien remettre le feu aux poudres. Mesure qui se base sur un ensemble de postulats faux ou contestables : « on vit plus longtemps, on doit travailler plus longtemps » pour le principal. Car le « on » de cette proposition, largement reprise par Macron, met tous les travailleurs dans le même panier hors, de considérables écarts d’espérance de vie, et surtout d’espérance de vie en bonne santé, existent entre les différentes catégories sociales[14]. L’Insee écrit par exemple que « parmi les 5 % les plus aisés, l’espérance de vie à la naissance des hommes est de 84,4 ans, contre 71,7 ans parmi les 5 % les plus pauvres, soit 13 ans d’écart »[15]. L’espérance de vie à 35 ans sans incapacité est supérieure de 8 ans à celle d’un ouvrier[16]. Les riches vivent plus longtemps après la retraite et en meilleure santé, ce qui signifie que lorsqu’un ouvrier cotise pour la retraite, il contribue bien plus à la retraite des riches qu’à la sienne propre[17]. Voilà une inégalité terrible que Macron ne va qu’accentuer. Le robin des bois à l’envers, qui prend aux pauvres pour donner aux riches, n’a pas fini son travail. Que dire, par ailleurs, de l’espérance de vie en bonne santé à la naissance, qui est inférieure à l’âge de la retraite prévu par Macron ? « En 2018, l’espérance de vie en bonne santé, c’est-à-dire le nombre d’années qu’une personne peut compter vivre sans être limitée dans ses activités quotidiennes, s’élève en France à 64,5 ans pour les femmes et 63,4 ans pour les hommes. Au cours des dix dernières années, elle a légèrement augmenté pour les hommes (+ 8 mois), mais est restée globalement stable pour les femmes. »[18] On peut objecter qu’en regardant l’espérance de vie en bonne santé à 60 ans plutôt qu’à la naissance, les Français ont encore de belles années de reste, ce qui est vrai. Tout simplement car ce calcul élimine tous ceux qui ne sont pas arrivés à 60 ans en bonne santé et ne garde que ceux que les conditions de vie, de travail ou la maladie ont épargnés. Or, l’âge de la retraite fixé autoritairement à 65 ans par Macron ne s’embarrasse pas de telles précautions. Le président n’est pas particulièrement gêné par le fait que moins de 60% des plus de 60 ans s’estimaient en “bonne santé” en 2017[19].

Il y a derrière cela quelque chose de très profond. Car la République sociale est construite sur une promesse essentielle, qu’incarne à elle seule l’espérance de la retraite. Les citoyens travaillent dur leur vie durant, cotisent au profit de la collectivité, car ils ont l’assurance de profiter d’une retraite bien méritée. Or, en brisant cette promesse, Macron brise un des piliers les plus importants de la République sociale.

4/Pot-pourri :

-« Réduire les impôts de production qui pèsent sur l’industrie et l’agriculture, notamment en supprimant la CVAE pour toutes les entreprises ». La Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises (CVAE) est, comme son nom l’indique, prélevée sur la valeur ajoutée, dès lors que celle-ci excède 500 000 €. C’est un impôt de production dont les recettes sont au bénéfice des collectivités territoriales (régions, départements, municipalités), et qui a rapporté en 2020 près de 19.5 milliards d’euros[20]. Premièrement, la CVAE ne s’applique pas aux exploitations agricoles[21], la proposition est donc mensongère, car cet impôt ne pèse pas sur l’agriculture. Ensuite, cette exonération s’inscrit dans le vaste mouvement, initié lors du premier quinquennat Macron, de dépeçage des collectivités territoriales. Elle avait été précédée en 2021 d’une baisse de 7 milliards de cette même CVAE. Il s’agit là de priver les collectivités de moyens importants qui garantissent pour partie leur bon fonctionnement et leur indépendance. L’objectif est clair : mettre toujours plus les collectivités territoriales – qui, bizarrement, sous toutes aux mains de l’opposition de droite ou de gauche – sous la tutelle de l’Etat. Enfin, c’est encore et toujours la même erreur que fait Macron : croire que le problème des entreprises françaises serait l’excès de taxes et de cotisations. Or, leurs principaux problèmes sont la concurrence déloyale à l’international (notamment à cause des traités de libre échange ratifiés par Macron), l’euro largement sur-évalué pour la France, la faiblesse de la demande intérieure. Mais, sur ces 3 problèmes cruciaux, Macron ne dit rien, au contraire, il en organise le renforcement. Ne reste qu’une solution : s’inscrire dans une logique de dumping fiscal sans fin et au détriment de l’Etat français et des collectivités territoriales.

-« Réviser la politique d’achat de l’Etat : l’objectif prioritaire sera d’acheter local ». Macron sait-il que l’Union Européenne interdit à un Etat membre de privilégier ses propres entreprises lors de marchés publics au nom de la sacro-sainte concurrence[22] ? Le candidat, encore une fois, ment éhontément, car il n’ambitionne certainement pas de remettre en cause les traités européens.

-« Poursuivre la modernisation du code du travail engagée avec les ordonnances de 2017 ». Une petite ligne qui pourrait passer inaperçue mais en dit long. La loi El Khomri, puis les ordonnances Macron, n’ont pas suffi, la casse du Code du travail n’est semble-t-il pas totale. On ne sait, bien sûr, pas ce que Macron prépare, l’opacité étant le credo de ce nouveau programme. Néanmoins, il y a fort à parier que cette simple phrase n’augure rien de bon pour les travailleurs.

Mais le programme Macron 2022 brille surtout par les vides qu’il laisse. L’ambition du candidat d’« avec vous » en matière de culture ? Trois pauvres mesures ineptes : « des nouvelles commandes artistiques publiques artistiques […] pour soutenir les jeunes créateurs », créer des « métavers européens et proposer des expériences en réalité virtuelle » pour les musées ou le patrimoine et enfin « une extension du pass Culture ». Voilà à quoi se réduit la culture française, multiséculaire, d’une infinie richesse – et accessoirement en grand danger. Des musées virtuels, des statues sur des ronds-points et un peu d’argent pour les jeunes… Quid de la défense du patrimoine en décrépitude ? Quid de la mise en avant des terroirs ? Quid du spectacle vivant ? Quid du statut des intermittents du spectacle ? Quid du budget de la culture ? Quid des enjeux de rémunération des créateurs, en particulier de BD[23] ? On le savait, la culture n’intéresse pas Macron le comptable (souvenez-vous : « il n’y a pas de culture française »…) mais là, c’est carrément une insulte.

On pourrait aussi aborder la vacuité du programme en matière environnementale, à l’image du quinquennat précédent. Certes, la France produit peu de gaz à effets de serre, se réjouit à tout bout de champ la macronie, mais, premièrement, compte-tenu par exemple de notre balance commerciale très largement déficitaire, nous faisons produire ces gaz à l’étranger, c’est une délocalisation de la catastrophe, et, deuxièmement, les gaz à effet de serre sont très loin d’être les seuls enjeux écologiques : biodiversité, équilibres écosystémiques, métaux et terres rares, exploitation des mers, déforestation, pillage des milieux naturels… Rien ou très peu, par exemple, sur l’agriculture, en particulier biologique, rien sur le principal moteur du réchauffement climatique à savoir la mondialisation – sauf de vagues promesses de relocalisations comme on en entend depuis des décennies…

Je ne parlerai pas ici des propositions relatives aux ministères régaliens ou la démocratie. En termes d’institutions et de République, on a bien vu que Macron n’avait eu de cesse que d’affaiblir la puissance publique et d’asseoir jour après jour la corruption au cœur des institutions (le scandale McKinsey vient superbement couronner le quinquennat sur ce point). Ce président haïssait la démocratie, cela ne changera pas. Le copinage, le soutien inconditionnel aux collaborateurs les plus véreux (Benalla, Richard Ferrand, Darmanin, Dupond-Moretti etc.), le mépris face aux oppositions, la force armée contre la colère populaire… Macron 2, ce sera Macron 1, en pire.

5/Financement :

L’idée de cet article était simple : que chacun sache désormais à quelle destruction la France sous Macron est promise. Mais il y a aussi, et de façon encore plus terrifiante, tout ce qui n’est pas dans le programme diffusé par le candidat. Le chiffrage, par exemple, n’y figure pas, alors que c’est le nerf de la guerre. Pourtant, le candidat a livré quelques éléments lors de sa conférence de presse. Le financement de son programme, dont le coût est chiffré à 50 milliards d’euros par ans (dont 15 milliards de baisses d’impôts et de cotisations), se fera de trois manières (tout en conservant les « ancres de finances publiques » : commencer à rembourser la dette en 2026, passer sous les 3% de déficit public en 2027) :

  • 15 milliards d’euros grâce au plein-emploi annoncé, grâce aux gains sur la réforme de l’assurance chômage et sur la réforme des retraites ;
  • 15 milliards financés grâce aux réformes structurelles et les simplifications : e-carte vitale, e-prescription, régulation des prestations sociales et de leur bonne attribution, facturation électronique, lutte contre la fraude et l’optimisation ;
  • 20 milliards en réduisant les coûts de fonctionnement des collectivités publiques.

Encore une fois, le diable se cache dans les détails… détails que nous n’avons malheureusement pas. Par exemple, quels seront les coûts de fonctionnement des collectivités publiques qui seront attaqués ? Comment Macron compte-t-il réguler l’attribution des prestations sociales… ? On n’en saura bien entendu rien. Ce que l’on sait en revanche, c’est que ce programme affaiblira encore plus l’Etat français et les services publics.

6/Conclusion :

Comparé à celui de 2017, le nouveau programme du candidat Macron ne pèse pas bien lourd. Moins détaillé, plus évasif, plus flou, moins précis, moins ouvertement en faveur des riches… Macron sait qu’il peut se permettre un programme au ras des pâquerettes, mal fichu et parfaitement creux. Néanmoins, malgré l’acharnement de ses équipes de com’ à construire un document lisse qui laisse dans l’ombre les vrais enjeux, l’ampleur de la destruction qui s’annonce est palpable. Car soyons clairs, la République sociale va, pour de bon, voler en éclats. Ce n’est pas du complotisme mais une simple analyse froide et lucide de la situation. Nous avions raison quand nous dénoncions par avance les ordonnances Macron, nous avions raison en anticipant les méfaits de Parcoursup, nous avions raison en prévoyant la destruction du lycée, nous avions raison en voyant se profiler la catastrophe sanitaire, nous avions raison en annonçant les effets de la loi sur le secret des affaires… comme sur bien d’autres choses. Et pourtant, on nous traite de Cassandre, de complotistes. Peu importe. Que chacun lise le programme, le confronte à la réalité et ne se contente pas des slogans et autres appeaux à militants décérébrés. Nous savons qui est Macron, ce qu’il a déjà fait, nous savons pour partie ce qu’il projette de faire. Que personne ne dise maintenant qu’on ne pouvait pas savoir.


[1] https://avecvous.fr/lettre-aux-francais
[2] https://www.francesoir.fr/politique-france/non-les-chiffres-du-chomage-ne-sont-pas-bons
[3] https://en-marche.fr/articles/actualites/contrat-avec-la-nation
[4] https://www.education.gouv.fr/le-sport-l-ecole-elementaire-9509#:~:text=pour%20l’adaptation%20%C3%A0%20diff%C3%A9rents,jeux%20collectifs%20(traditionnels%20ou%20sportifs)
[5] Conférence de presse de présentation du programme. https://youtu.be/MoL-p7dxGao
[6] http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2021/09/16092021Article637673745030614533.aspx
[7] https://www.liberation.fr/checknews/emmanuel-macron-a-t-il-ferme-17-600-lits-dhopital-en-quatre-ans-comme-laffirme-francois-ruffin-20211224_ZDEGBEMS4BHW3CGKLAOKL275ME/
[8] https://www.aide-sociale.fr/prime-macron/
[9] https://www.insee.fr/fr/statistiques/4506077
[10] Idem.
[11] Voir à ce sujet l’excellent ouvrage du sociologue Denis Colombi, Où va l’argent des pauvres, Payot et Rivages, 2020.
[12] https://statistiques.pole-emploi.org/stmt/defm?fh=1&fv=A,D,E,F&lv=0&nj=0&pp=las&ss=1
[13] https://avecvous.fr/projet-presidentiel
[14] https://www.insee.fr/fr/statistiques/3319895
[15] Idem.
[16] https://www.inegalites.fr/Les-inegalites-d-esperance-de-vie-entre-les-categories-sociales-se-maintiennent?id_theme=19
[17] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/01/13/esperance-de-vie-sante-inegalites-l-age-juste-du-depart-en-retraite-fait-debat_6025740_4355770.html
[18] https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277745?sommaire=4318291
[19] https://www.insee.fr/fr/statistiques/4238405?sommaire=4238781
[20] https://www.fipeco.fr/fiche/La-cotisation-sur-la-valeur-ajout%C3%A9e-des-entreprises#:~:text=2)%20Les%20recettes%20et%20leur,7%20%25%20de%20leurs%20recettes%20fiscales.
[21] Idem.
[22] https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/38592-la-politique-de-la-concurrence-de-lunion-europeenne-ue
[23] https://www.franceculture.fr/bande-dessinee/auteurs-de-bd-la-remuneration-des-dedicaces-une-avancee-mais-pas-la-panacee-pour-sortir-de-la


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