[Bibliosphère] Vies parallèles – Michel Onfray


Vies parallèles

De Gaulle & Mitterrand

Michel Onfray

Robert Laffont, 2020


Depuis longtemps, je partage avec Michel Onfray la même admiration pour le Général de Gaulle et la même hostilité vis-à-vis de François Mitterrand. L’un incarne la grandeur et la droiture du pouvoir mis au service du peuple, l’autre la bassesse d’un individu prêt à tout pour parvenir. Vies parallèles est un portrait croisé de ces deux grandes figures du XXème siècle, un exercice de contre-point, un art de la fugue d’une certaine manière, où, au fil des chapitres, se dresse l’opposition d’un homme qui « a fait la France », il s’agit du Général, et d’un autre qui « a largement contribué à la défaire »(p.24), il s’agit de Mitterrand…

Chacun des 18 chapitres de ce gros livre est consacré à un thème précis : l’enfance, le rapport à la nourriture, aux femmes ou à la maladie pour les sujets les plus anecdotiques, mais surtout la Résistance, l’extrême-droite, la guerre d’Algérie, l’Union Européenne entre autres pour les sujets qui font l’Histoire. Et chacun de ces chapitres se construit en deux parties qui s’opposent : que furent le comportement et la vie du Général puis de Mitterrand face à tel ou tel sujet. Une démarche si systématique n’évite bien sûr pas la caricature, c’est inévitable dans ce genre d’exercice. Disons que les portraits de ces Vies parallèles sont des portraits à la Picasso plutôt qu’à la Ingres. Mais cette biographie croisée ne manque pas d’intérêt car, finalement, les vies parallèles du Général de Gaulle et de Mitterrand racontent le XXème siècle tout entier.

Mitterrand passe pour l’homme emblématique de la gauche, de Gaulle, pour une figure chérie par la droite. Deux terribles méprises que ces Vies parallèles vont s’évertuer à réparer. La thèse de cet ouvrage est simple : de Gaulle a œuvré sa vie durant pour la grandeur de la France en se mettant systématiquement à son service, congédiant les catégories de droite et de gauche ; alors que Mitterrand n’eut d’autre projet que d’accéder au pouvoir suprême, en recourant si besoin à tout le cynisme et la malhonnêteté nécessaires, tout en se plaçant sans discontinuer sous le patronage de l’extrême-droite et de l’antigaullisme. Deux trajectoires existentielles opposées. Au fil des chapitres, ces trajectoires prennent forme, et lorsque survient la mort, on peut dire dans quelle direction elles pointaient finalement. La trajectoire du Général été orientée vers la France et le peuple français, la trajectoire de Mitterrand vers lui-même et encore lui-même. Vies parallèles pourrait sembler être un dithyrambe en l’honneur de Charles de Gaulle en même temps qu’un terrible pamphlet anti-Mitterrand, ce qui n’est pas totalement faux, pourtant, il faut garder à l’esprit que le Général fut réellement un grand homme, alors que Mitterrand fut réellement un sale type…

Ainsi, Onfray montre un de Gaulle bien éloigné de la politique politicienne, et plus préoccupé du destin de la France que de lui-même. Un homme hors du clivage droite-gauche, qui méprisait l’argent et les « vertus » du capitalisme, un dirigeant préoccupé par la question sociale à tel point qu’il avait élaboré une grande politique sociale autour de la participation, une façon de redonner au travail et aux travailleurs une dignité dans ce monde qui ne valorise que l’argent et la finance, un chef d’Etat qui souhaitait que son pays fût fort et indépendant, en particulier en Europe et face aux Etats-Unis, enfin, un président soucieux de démocratie véritable qui pensait qu’il fallait s’effacer lorsque le peuple avait tranché comme lors du référendum perdu de 1969. Un de Gaulle proche du socialisme, qu’il connaissait bien (p.146). Au contraire de cela, Mitterrand n’avait que les basses manœuvres de politiques politiciennes – un politichien, disait de Gaulle… – pour parvenir, lui l’homme sans conviction, mis à part sa conviction d’extrême-droite, vichyste et maréchaliste, qui ne le quittera jamais sa vie durant, même à l’Elysée où il continua d’honorer Pétain et de fréquenter des collabos notoires, dont René Bousquet, principal organisateur de la rafle du Vel d’Hiv… Ce très long compagnonnage avec la pire extrême droite, de la Cagoule à Le Pen, est, de façon irréfutable et circonstanciée, démontrée dans Vies parallèles. Ce n’est pas qu’un amoncellement d’anecdotes : la parole et les actes de Mitterrand engageaient la France elle-même. Lui-même fonctionnaire sous Vichy, récipiendaire de la Francisque remise par le Maréchal Pétain, franc partisan de l’Algérie Française, ministre de la Justice qui envoya sans état d’âme des dizaines de personnes à l’échafaud, puis finalement traître à la gauche et à la France qu’il a dépecée pour que naisse l’Union Européenne et la soumettre à tous les dogmes néolibéraux… François Mitterrand n’a pas grand mérite aux yeux d’Onfray, et on comprend pourquoi…

On (re)découvre dans cet ouvrage un de Gaulle plein des vertus romaines, notamment celle d’amitié. André Malraux entretint avec le Général une longue relation faite de ferveur, d’admiration et de loyauté réciproques. Malraux était bien plus qu’un ministre de la Culture emblématique pour le Général, une complicité intellectuelle évidente les liait. L’écrivain et penseur avait plus que l’oreille du Général, il était une part de cerveau. Il théorisa une philosophie vitaliste et morphologique de l’Histoire et des civilisations, à laquelle de Gaulle souscrivait, en bon lecteur de Bergson. Cette amitié-là résume tout de Gaulle : son rapport à la culture – la grande culture – qu’il voulait à disposition de chacun, son rapport à l’Histoire, mais aussi sa volonté de rassembler tous les français après la guerre, y compris les moins courageux – Malraux ne fut qu’un résistant de la toute dernière heure… Les amitiés de Mitterrand aussi disent tout de lui : amitié avec René Bousquet, de sinistre mémoire, dont on a rappelé qui il fut, admiration pour le philosophe vichyste Jean Guitton, amitié avec divers membres de la Cagoule… Mitterrand ne pratiquait pas les vertus romaines, à l’inverse du Général : la tempérance, la droiture, l’honneur, l’honnêteté lui étaient étrangers. Il n’eut de cesse de mentir sur son passé, de trahir sa propre parole (ne déclarait-il pas au Congrès d’Epinay en 1972 : « Celui qui ne consent pas à la rupture avec l’ordre établi, […] avec la société capitaliste, celui-là je le dis, il ne peut pas être adhérent du Parti Socialiste », avant de livrer corps et âme la gauche au (néo)libéralisme en 1983 ?), de louvoyer, de se comporter en cynique prêt à tout, y compris en mettant en scène sa propre maladie…

Vies parallèles est un fort volume qui recoupe un grand nombre de sources, livre les témoignages, cite des proches, met en perspective les faits historiques et les comportements publics de ces deux figures du XXème siècle. Une analyse fine et détaillée des politiques mises en œuvre manque, on se contente le plus souvent des grandes lignes de force, des inspirations et des mesures les plus retentissantes. Mais ce travail d’économiste et de juriste n’est point l’objet du livre. Quoi qu’il en soit, voilà un ouvrage documenté et précis qui restaure un peu la vérité sur un de Gaulle présenté comme un semi-dictateur, un monarque de droite, et un Mitterrand comme celui qui avait installé la gauche au pouvoir, progressiste, résistant et du côté des faibles. Il est toujours utile de dissiper les fables… Bonne lecture !

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