[Bibliosphère] La vengeance du pangolin – Michel Onfray


La vengeance du pangolin

Penser le virus

Michel Onfray

Robert Laffont, 2020


Onfray l’omniprésent revient sur les étals des librairies. Déconfiné, et plus en forme que jamais après la parution de sa revue souverainiste Front populaire, il a, semble-t-il, élu domicile dans les studios des chaînes d’infos – pour le meilleur mais aussi, hélas, pour le pire, le travail de commentateur ne lui réussit pas toujours. Peu importe, il retourne à l’une de ses activités littéraires favorites, la chronique. Dans la veine de la trilogie présidentielle (Décoloniser les provinces, La cour des miracles, Zéro de conduite), La vengeance du pangolin est une collection de chroniques écrites au jour le jour en fonction de « l’actualité » récente, mais aussi d’entretiens donnés à la presse française et internationale. Cette fois-ci, un événement écrase tout le reste, le livre lui est consacré, il s’agit bien sûr de la terrible crise sanitaire du coronavirus. Du 28 janvier au 1er mai 2020, retour plein d’ironie et de férocité sur une « séquence » qui restera sans doute dans l’histoire.

Tout est parti, dit-on, d’un pangolin. En pâté, en rôti, en carpaccio, en tourte, en salaison, braisé, bouilli, sauté, grillé, fumé, confit, poché, mijoté… que sais-je ? Ou bien, était-ce un ragoût de chauve-souris ? Peu importe, toujours est-il qu’il a suffi d’un malheureux repas – on espère au moins qu’il fut agréable – pour déclencher la crise sanitaire mondiale qu’on connaît. Début 2020, le coronavirus, tout juste débarqué de Chine, gagnait la France pour y semer la mort. Au-delà de l’horreur, de la souffrance, de la psychose, ce fut l’occasion de découvrir un peu plus l’impéritie gouvernementale et journalistique. Onfray s’y attaque avec sa verve habituelle, il la désosse de son scalpel acéré. Quoi que, la gravité du sujet étant telle, l’humour fait souvent place à une ironie froide pleine de colère – et on le comprend. Ou plutôt, la satire se transforme en acte d’accusation : du gouvernement, de la caste médiatique, de l’Union Européenne, de la mondialisation, de notre monde néolibéral. Car ce sont eux, au moins autant que le virus lui-même, qui causèrent la catastrophe. Et d’abord, en détruisant les écosystèmes : « trop d’hommes au contact des animaux dans de moins en moins de nature, voilà qui ne peut que générer des épidémies »(p.12-13). Ensuite, en démolissant les systèmes publics de santé, en dénudant les personnels soignants puis en les envoyant au front désarmés et désemparés.

Mais c’est, on l’a dit, un acte d’accusation mordant et souvent drôle que La vengeance du pangolin. Macron, affublé de quantité de surnoms tous plus appropriés les uns que les autres (il est « le Grand Timonier d’Amiens »(p.42) le « gendarme de Saint-Tropez »(p.100)…) en prend pour son matricule, il est copieusement moqué et ridiculisé, il est abondamment tancé et remis à sa place, il est généreusement dénoncé et inculpé. Après tout, c’est lui qui se présente en chef d’une guerre qu’il est seul à avoir déclarée. Un tout petit chef, un chefaillon incompétent, hargneux, menteur et traître dans une guerre inexistante. Un chef à la tête d’une « armée » de pacotille : « du savon, du gel et un coude : nous étions prêts, comme en 40, le virus n’avait qu’à bien se tenir »(p.31). Voilà, dans un premier temps, le seul arsenal avec lequel notre de Gaulle de bac à sable a cru protéger la France. C’est que le bougre court plusieurs lièvres ! Président de la France et des Français, il déteste la nation française et le peuple français qui ne sont que des prétextes à ses ambitions européennes. Onfray résume : « [Emmanuel Macron] hait les frontières nationales parce qu’il a le projet de diluer la France dans l’acide européiste qui vise le grand gouvernement planétaire des sachants qui écarteront les peuples, il aime l’Europe et les frontières européennes qu’il protège – et qu’il protège avant la France, ce qui, pour un président de la République élu au suffrage universel direct, se nomme forfaiture et haute trahison »(p.270).

Le gouvernement a tout fait pour exposer et surexposer les français au virus – Onfray dresse la liste accablante des événements. Il a tout fait pour minimiser. Il a tout fait pour discréditer les « lanceurs d’alerte ». Il n’a cessé de se contredire en permanence, de dire et faire tout et le contraire de tout. Les masques ? Inutiles, d’une complexité inabordable au non-agrégé ou au non-normalien, voire dangereux. Puis : obligatoires, salutaires, voire providentiels. En réalité : mensonge d’un Etat qui a préféré couvrir la pénurie qu’il n’a pas su anticiper en mettant, là comme ailleurs, son peuple en danger. Avec, bien sûr la coupable complicité des journalistes faisant diversion : « La télévision montre donc […] le village Potemkine fabriqué pour cacher le réel, la réalité du réel, la cruelle réalité de ce réel cruel qui est que la France n’est pas capable de produire des masques autrement qu’en laissant des bénévoles les tailler dans des coupons destinés à des slips »(p.215).

Dans La vengeance du pangolin, Onfray s’en prend au gouvernement, Macron, Sibeth et Buzyn en tête, mais aussi aux journalistes complices et, plus généralement, au monde néolibéral et mondialisé. Avec en ligne de mire son adversaire principal, en bon souverainiste, « l’Empire maastrichtien ». L’Union Européenne a montré pis que son inaction, sa nocivité ! Au travers de Maastricht, c’est toute la logique néolibérale qui est en cause, avec sa promotion acharnée de la mondialisation qui dilue les peuples et déteste les frontières. Frontières que Macron a, jusqu’au bout refusé de fermer s’agissant de la France alors qu’il était favorable à la protection de l’espace Schengen, seul digne d’être préservé – Onfray insiste assez sur cette scélératesse. Le libéralisme, c’est certes l’idéologie des puissants, mais c’est aussi et surtout, les puissants, les riches de tous pays qui ont, sciemment, organisé la destruction de notre système de santé, au nom du fric, des profits, du capital. « Tout citoyen français, écrit Onfray, qui dispose d’un compte en Suisse ou dans un quelconque paradis fiscal doit être tenu pour responsable de la mort de qui n’aura pas pu bénéficier d’un respirateur hospitalier, responsable et coupable »(p.78-79). Les mots sont forts, mais justes.

Et le monde d’après ? On voit cette question resurgir constamment au fil des chroniques. Lucide, le Normand ne croit pas aux lendemains qui chantent, il ne croit pas au « monde d’après » différent du « monde d’avant », bien plutôt à un après intensifiant les logiques d’avant. Car tel est le projet macronien, donc le projet maastrichtien, donc le projet néolibéral, donc le projet du capital.

Mais si La vengeance du pangolin est sous-titré Penser le virus, ce n’est pas au hasard. Il s’agit aussi d’essayer, en penseur vitaliste, d’inscrire le virus destructeur dans une logique cosmique plus vaste : le vivant. La vie qui veut la mort pour vivre et se perpétuer. Aussi, à l’inverse de tous ceux, philosophes les premiers, qui répètent que nous aurions redécouvert la mort, ce qui nous effraierait au plus haut point, Onfray décale la perspective : nous n’avons pas subitement pris conscience de la mort qui nous menace, mais de la vie qui est indifférente à notre sort ! « Car tout ce qui vit sur la planète ne vit qu’en tuant […]. C’est au prix de la mort que la vie va ! »(p.250) Et peut-être est-ce plus angoissant encore… !

Un livre plein d’humour donc, d’ironie, le Michel Onfray satiriste que j’apprécie le plus (malgré ses saillies raoultesques), un ouvrage qu’on lit avec plaisir et qui ravive la mémoire d’événements qui déjà s’estompent, qui permet de nourrir à nouveau la colère qui, comme un feu de joie, ne devrait jamais s’éteindre en nous ! Bonne lecture !


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