Bibliosphère : La cour des miracles


La cour des miracles 

Carnets de campagne

Michel Onfray

Editions de l’Observatoire, Juin 2017


Deuxième opus de la trilogie onfrayienne consacrée aux élections présidentielles et aux premiers pas du nouveau Président. Après Décoloniser les provinces et avant le prophétique Zéro de conduite, Michel Onfray nous raconte en 83 chroniques au fil de l’eau le déroulement de la farce électorale qui s’est jouée, des primaires – très primaires – au sacre de Jupiter. 

Des chroniques comme des jets de salive, des crachats, des morsures aux crocs acérés, des piqûres de dards aiguisés qui inoculent des venins violents, des décharges d’une murène survoltée, des coups de cornes après une charge furieuse contre tous les chiffons rouges qui s’agitent, des piqués d’oiseau de proie dont le bec transperce encore et encore les chairs les plus robustes, des jets d’acide fumant et de gaz nauséabonds pour corroder l’acier même et transformer l’air en poison mortel… Voilà pour donner une idée du ton de ce livre, qu’Onfray présente comme voltairien, ironique, rieur, riard, joyeux, primesautier. Et le pari est réussi, mille fois réussi ! Sans doute l’un des meilleurs Onfray ! Crénom, cela fait du bien !

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[nectar_animated_title heading_tag=”h2″ style=”hinge-drop” color=”Extra-Color-1″ text=”Meurtres en série sur 361 pages… “]

Parlons d’abord du style. Je l’ai dit, Onfray se réclame de Voltaire et de son ironie, mais aussi des moralistes français, La Rochefoucauld, La Bruyère, Chamfort pour leur art de manier le scalpel verbal avec précision, intransigeance, humour et méchanceté parfois. Et tout cela se retrouve peu ou prou dans ce livre jouissif. Le philosophe hédoniste renoue avec ses premières amours : plaisir de la lecture (pour nous), plaisir de l’écriture (pour lui), plaisir du bon mot, plaisir du portraitiste qui croque – au sens carnassier du terme ! – ses victimes, et plaisir du philosophe qui propose une analyse qui tombe assez souvent juste. D’autant qu’il a pris le parti de ne pas remanier ses textes, écrits au fil des événements, de les conserver tels quels, sans chercher à se donner l’allure d’un voyant qui prédirait le passé.

Ainsi, il tape sur tout le monde – et il tape fort, le normand ! D’abord, les titres et sous-titres des chroniques : hilarants ! Manuel Valls : “Le toréador de vaches laitières” ; Nicolas Sarkozy : “Roi du bobard cherche un royaume” ; “François Hollande : Sphincter Ier” ; Vincent Peillon : “Le désagrégé de philo” ; Mélenchon : “un Robespierre en peau de lapin ” et j’en passe… Chaque chronique fait trois ou quatre pages, le style est rapide, incisif parfois, jamais lourd, on a parfois l’impression de découvrir un Michel Onfray que l’on ne connaissait pas. Après les essais philosophiques, les poèmes, les haïkus, le conte pour enfant, il nous propose cette fois du neuf et de l’inattendu. Sa verve frappe sans retenue, à gauche, à droite, au centre, dans les médias. Il tape dans le tas, mais vise toujours juste. Et personne ne trouve grâce à ses yeux, chacun a droit à son épithète assassine !

Ce tourbillon de gnons, de bourre-pifs, de banderilles, de méchancetés (jamais injustes) fait un bien fou !

Un exemple, au hasard. A propos du débat télévisé de la primaire de le gauche – oups, non ! la primaire de La belle alliance populaire…

Dieu que la vie est belle, quand on a brisé le prie-Dieu de gauche en estimant qu’on peut se faire sa religion socialiste tout seul, en dehors des catéchismes, des chapelles, des églises et des sacristies ! Pas besoin de choisir entre l’arrogance suffisante de Montebourg, la morgue professorale de Peillon, l’oral de bac poussif de Hamon, le cynisme en barre de Valls, la pitrerie bouffonne de Bennahmias, le sang bleau d’apparatchik de Rugy, la féminitude obligée de Pinel en estimant que, si l’on n’a pas choisi entre ces figurants, c’est qu’on n’est pas, ou plus, de gauche !

Tous arrivent sur scène habillés de la même manière, sauf Bennahmias, qui a oublié sa cravate en même temps que le contenu de son programme, et Valls, qui l’a choisie bleue, c’est la couleur de la droite. A première vue, pris par surprise, on imagine un congrès national de pompes funèbres. L’émission terminée, on constate qu’on n’en fut pas bien loin.

Extrait de la chronique 40 : Electroencéphalogramme plat

[nectar_animated_title heading_tag=”h2″ style=”hinge-drop” color=”Extra-Color-2″ text=”Analyse sans concession”]

Mais la forme ne doit pas faire oublier le fond du livre. Car La cour des miracles propose une vision du monde politique français, vision sombre, dégénérée, autiste, inconséquente, égotiste… Mais surtout : vision claire.

Il le dit lui-même en préambule, il est devenu un athée en politique, et c’est en athée qu’il analyse les choses. Un athée en politique ne croit plus aux promesses faites pour les enfants servies tous les 5 ans en jurant que “cette fois ça sera différent, promis juré, je vais les tenir ces promesses, je suis pas comme les autres vous allez voir !” En effet, on voit. On voit toujours la même chose d’ailleurs… L’athée qu’est Onfray ne vote pas, ne vote plus. Il n’est même pas un abstentionniste, contrairement à ce qu’il dit lui-même, il est un “non inscrit”. Pourquoi jouer au jeu des élections quand, quoi qu’il se passe, c’est toujours un libéral maastrichtien qui gagne ?

Michel Onfray procède à un démontage en règle de la machinerie politico-médiatique, il éclaire la coulisse du théâtre de marionnettes pour nous en montrer les ficelles. Sa thèse est simple : tout est fait, et tout a été fait, pour que soit élu un tenant du système libéral européiste. Il fallait donc mobiliser les médias, à la solde de neufs milliardaires qui, bien sûr, défendent leurs intérêts propres, utiliser tous les moyens de communication disponible pour discréditer toute opposition sérieuse, créer un faux-danger et un sauveur face à ce danger. Marine Le Pen a tenu le rôle d’épouvantail, Mélenchon aurait pu le tenir aussi (souvenons-nous du matraquage inouï dont il a été victime lors des deux dernières semaines de campagne : il fallait prévoir le coup au cas-où il aurait été présent au second tour) : épouvantail Hitlérien ou épouvantail Stalinien, tout était bon pour effrayer et paralyser les électeurs. Dans ce livre, Onfray met en pleine lumière la politique spectacle poussée à son paroxysme, le triomphe des communicants, le sacrifice des convictions, le triomphe de la bataille d’égos, l’opportunisme sans vergogne, l’inculture crasse des politiques et des journalistes . Une conclusion s’imposait donc pour lui : ne pas voter.

Je souscris à toutes ces analyses, sur tous les candidats. Un seul désaccord : Onfray pense qu’un programme commun de la gauche aurait pu la faire gagner, à condition que Mélenchon se désistât au profit de Hamon. Je n’y crois pas. Premièrement : le programme commun était là puisque celui de Hamon était un copier-coller presque intégral de celui de Mélenchon. Deuxièmement : Hamon n’aurait jamais pu gagner, même avec Mélenchon dans sa poche car quoi qu’on dise, il était le candidat du Parti Socialiste, celui qui avait échoué. En cela, Hamon était discrédité absolument. C’est la différence majeure avec l’élection de Mittérand en 1981. Il eût fallu qu’il rompît avec son parti et encore… Dans cette hypothèse, Mélenchon aurait été perçu comme un traître, déboussolant définitivement les électeurs de gauche. Non, la seule bonne solution eût été le contraire : que Hamon rejoignît Mélenchon. Mais ça n’est pas l’objet de l’article, on ne va pas refaire la campagne !

Conclusion : ce livre est une bourrasque d’air frais ! Mais âmes sensibles s’abstenir : Onfray ne laisse derrière lui qu’un champ de ruine politique ! C’est sur ces ruines qu’il entendait reconstruire dans Décoloniser les provinces en proposant son propre programme (ou du moins une ébauche). Ce livre se lit comme on va voir un combat de catch : on rigole, on s’amuse, on s’excite, mais sans oublier que tout ça, c’est du bidon. Bonne lecture !

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