[Bibliosphère] Qu’est-ce que le socialisme ? – Jean Jaurès


Qu’est-ce que le socialisme ?

Jean Jaurès

Pluriel, 2019


Qu’est-ce que le socialisme présente deux courts textes inédits du philosophe Jean Jaurès – et j’insiste sur ce mot. Philosophie et socialisme est la leçon d’ouverture de son cours à la Faculté de Toulouse de l’année 1890-1891 ; Le socialisme dans Fichte et dans Schäffle est un probable manuscrit d’article non publié et rédigé sans doute en 1892. A cette époque, Jaurès n’est pas encore le grand homme que nous connaissons bien qu’il eût été élu député dès 1885 puis battu en 1889 – il était lors de la rédaction de ces deux textes en vacance de ses fonctions politiques. Jaurès avait retrouvé son poste de professeur de philosophie à Toulouse, c’est en philosophe donc qu’il entend s’interroger sur le socialisme, dont il essaie de retrouver les origines.

[image_with_animation image_url= »5652″ alignment= »center » animation= »Fade In » box_shadow= »none » max_width= »100% »][divider line_type= »No Line »]

A la question Qu’est-ce que le socialisme ?, qui pourtant donne son titre à l’ouvrage, n’attendez point de réponse claire et définitive. Car ce que l’on pourra comprendre à la lecture de ces textes inédits est que le socialisme, la philosophie socialiste, n’est point une doctrine posée une fois pour toute, encore moins un programme, mais un processus, un développement. Jaurès ne conclut pas par hasard sur le socialisme comme « la tradition, la foi persévérante de plusieurs qui ont pensé, et de beaucoup qui ont souffert. »(p.92) C’est la raison pour laquelle Jaurès se propose d’éclairer cette tradition en déterrant ses racines. Cela était – et demeure – chose risquée : qu’un professeur d’université fasse cours sur le socialisme, l’actualité politique la plus brûlante, l’expose nécessairement aux récriminations si ce n’est aux oppositions les plus farouches. Pourtant, assure-t-il, remonter aux origines philosophiques d’un problème, en revenir aux idées, cela permet d’écarter la haine, fruit des intérêts matériels divergents des différents protagonistes. « Voilà pourquoi, jusque dans les problèmes qui sont descendus dans la rue, faire œuvre de philosophie, c’est faire œuvre de paix »(p.39).

Philosophie et socialisme place d’emblée le socialisme dans un rapport étroit avec la philosophie, dont le cours va s’évertuer à montrer la proximité, mieux, la filiation logique. Car si, comme l’affirme Jean Jaurès, le socialisme « proclame que la société a le droit d’intervenir dans les relations économiques des hommes entre eux, dans les contrats de travail, c’est-à-dire, comme le métier est pour la plupart des hommes toute la vie et que la condition des hommes agit sur leurs sentiments, la société est investie du droit d’agir directement sur la vie des individus et indirectement sur leurs conscience »(p.40), toute la difficulté sera dès lors de clarifier ce que l’on entend par « société » et ce que sont les « interventions » que le socialisme reconnaît pour légitimes. A moins de ce travail, tout serait permis – en particulier le pire. Ces deux questions sont creusées par Jaurès, qui aboutit à l’idée que le socialisme se fonde sur l’aspiration à la justice au sein de la société humaine dans son ensemble et ne saurait se borner aux limites de la société comme simple patrie. En effet, la patrie n’a point besoin de justice pour advenir ni pour perdurer. Afin de réaliser une patrie juste, le socialisme est nécessaire. Il vise l’humanité non comme espèce, ni comme appartenance, mais comme exigence « morale et spirituelle »(48). Autrement dit, le socialisme naît de la réflexion philosophique sur l’humanité et surtout la justice.

Jaurès pourrait sembler un tantinet irénique et utopiste, pourtant, il n’élude pas les questions qui fâchent : « Est-ce que nous n’allons pas instituer un dogme nouveau aussi oppressif que les autres ? »(50) demande-t-il. A cette interrogation, qui a parcouru toute l’histoire de la critique du socialisme, Jaurès répond en définitive par une articulation de ce l’on pourrait appeler le général et le particulier. Il reformule la dialectique de l’universel et du local, il repense l’universalité comme ce qui ne s’oppose pas à l’individu ou à la localité, mais, d’une certaine manière, l’oriente, lui donne son sens enfin restauré dans sa plénitude : à savoir la liberté. Une liberté rendue possible par des conditions de vie justes, une liberté socialement construite. La portée théorique est très importante à comprendre pour (re)fonder une pensée socialiste en nos temps qui en manquent cruellement. Dans sa préface instructive et passionnée, le philosophe Frédéric Worms résume : « le socialisme est, pour Jaurès, cette doctrine qui justifie et même qui impose une intervention de la société dans le cœur de la vie humaine […], mais cela seulement au nom de la vie et de la liberté individuelle d’une part, et au nom, d’autre part, de la vie dans son ensemble, de l’humanité et, même, de l’univers. »(10)

Après avoir montré que l’enjeu du socialisme était en fin de compte de concevoir une liberté qui articule en son sein l’individu et le collectif, Jaurès va, dans le second texte qui compose Qu’est-ce que le socialisme ?, tâcher de montrer que cette exigence philosophique impose de passer par une analyse économique du monde. Par le truchement de l’allemand Johann Gottlieb Fichte, à propos duquel Jaurès exprime tout son enthousiasme et son admiration, le philosophe toulousain examine les concepts de valeur, de prix, de monnaie pour culminer dans la défense du collectivisme. Avec Fichte et Schäffle, il pense la valeur d’un objet plus largement que les économistes classiques (Marx compris) qui l’adossaient à la quantité de travail humain nécessaire à sa production. Il en appelle en outre à la détermination collective des prix. S’ensuivent des considérations, toujours à partir de Fichte, sur le rapport entre socialisme et internationalisme, sur l’opportunité de réaliser le socialisme hors d’un Etat fermé et isolé de la concurrence extérieure. Cette réalisation du socialisme nécessite que soient revues de fond en comble toutes ces notions et, par extension, celle d’Etat et de propriété. Ici, il s’agit de montrer que la liberté n’est effective qu’adossée à une égalité réalisée, dans et par l’organisation économique et sociale. Pour dire les choses très simplement : tout se tient.

Le grand apport de Jaurès est de proposer un socialisme qui arrache la liberté des mains de la seule pensée libérale et qui la place finalement au fondement de sa propre doctrine. Une démarche plus que jamais d’actualité.

Qu’est-ce que le socialisme ?, en plus de l’intérêt patrimonial et du plaisir de découvrir deux textes inédits de Jean Jaurès, permet d’approfondir la réflexion autour de la pensée socialiste. Deux petits textes précédés d’une préface de Frédéric Worms et d’une présentation de Gilles Candar qui permettent une entrée en matière profitable. Un livre bref et facile d’accès, à lire !

[divider line_type= »No Line » custom_height= »50″]

Merci d’avoir lu cet article, si vous l’avez apprécié, n’hésitez pas à le partager sur les réseaux sociaux, ou à le commenter en bas de page !
Pour ne rien rater de nos prochaines publications pensez à vous abonner !
Vous souhaitez soutenir Phrénosphère ? Vous pouvez faire un don !

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici