[Bibliosphère] Penser l’avenir – André Gorz


Penser l’avenir

Entretien avec François Noudelmann

André Gorz

La découverte, 2019


André Gorz fut le grand penseur de l’écologie politique, sa parole ou du moins ses idées nous manquent aujourd’hui cruellement. Sa disparition en 2007 a laissé un immense vide dans le champ intellectuel et politique, vide dont nous payons le prix tous les jours – notre incapacité à penser collectivement l’écologie n’en est qu’un aspect. En 2005, André Gorz, dont la parole médiatique était rare, accordait un entretien radiophonique à François Noudelmann, philosophe, pour France Culture. Cet entretien qui revient sur le parcours intellectuel et certaines idées de ce penseur a été retranscrit dans Penser l’avenir, un petit livre qui fonctionne comme une porte d’entrée possible dans la pensée d’André Gorz.

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En ces temps où l’écologie – je parle de l’écologie qui gagne les élections, qui se bat pour quelques postes, prête à trahir père et mère et sacrifier l’humanité pour un portefeuille – se dit non seulement compatible, mais la voie de salut du capitalisme, en ces temps où l’Homme, aidé par quelques fous-furieux ultralibéraux s’apprête au grand saut vers le post-humain, en ces temps où l’effondrement généralisé est plus qu’une hypothèse, il nous faut rebâtir une pensée critique et radicale. Pour cela, André Gorz – nom de baptême, Gerhart Hirsch – constitue un jalon essentiel. Son leg est immense : le souci écologique est une conséquence de toute critique antilibérale ou anticapitaliste. Comme le dit Christophe Fourel dans la préface de Penser l’avenir, « c’est en partant de la critique du capitalisme qu’on arrive immanquablement à l’écologie politique « qui, avec son indissociable critique des besoins, conduit en retour à approfondir et radicaliser encore la critique du capitalisme » »(p.11). A mille lieux de tous les discours portés par les partis qui se revendiquent de l’écologie.

La pensée de Gorz est donc loin de se réduire à l’écologie dans la mesure où elle porte très largement sur le système capitaliste et sur l’Homme lui-même puisque le philosophe est aussi un penseur du transhumanisme comme tentation prométhéenne et destructrice – politique, morale et philosophie sont pour ainsi dire constamment mobilisées les unes à partir des autres. Si Penser l’avenir n’entre pas dans les détails de la pensée d’André Gorz, format radiophonique oblige, ce petit livre permet néanmoins de cerner un peu mieux le personnage sur le plan biographique et intellectuel : ses origines autrichiennes, son rapport à la langue allemande, sa formation d’ingénieur, son amitié avec Jean-Paul Sartre – amitié et filiation intellectuelle développée par ailleurs dans la postface de François Noudelmann – entre autres.

Gorz fut l’un des grands théoriciens de la raréfaction du travail et de la nécessité de le partager. Très tôt, ses analyses le conduisirent à critiquer la place du « travail-marchandise » dans l’économie du système capitaliste, comme condition et moyen de sa perpétuation, ainsi que comme aliénation. Car Gorz s’inscrivait aussi dans le long lignage marxiste de la pensée sur l’aliénation et l’émancipation, bien qu’il ait su se préserver des errances totalitaires. Il défendait ainsi la réduction du temps de travail, les coopérations et l’auto-organisation, toutes idées que l’appareil médiatico-politique s’est acharné à discréditer. Gorz revient là-dessus dans Penser l’avenir, qu’il lie à une pensée et une politique du « loisir » et du « temps libre » comme possibilité d’un « auto-épanouissement ». Ces mots peuvent prêter à sourire par leur naïveté, pourtant, les pionniers de l’écologie politique et de la pensée critique montrent, et Gorz avec eux, qu’ils procèdent en réalité d’un impératif, et non d’une utopie. Autrement dit, le système est dans une impasse, le travail-marchandise est de toute façon condamné.

Gorz résume d’une certaine manière ce qui pourrait être son programme politique et philosophique : « vous ne pouvez pas avoir une autolimitation de la consommation et la définition d’un modèle de consommation plus économe en ressources naturelles et en travail, si l’on n’a pas une large mesure d’autosuffisance où les collectifs et les coopératives peuvent mesurer l’ampleur de leur besoin pour proportionner l’ampleur du besoin à l’ampleur des efforts qu’ils veulent consentir pour le satisfaire »(p.71-72). Où l’on voit qu’un tel programme ne suppose nullement l’abolition de tout travail – au contraire. Cela implique également une réflexion philosophique de fond sur les besoins de l’Homme, et, sur le plan moral et politique, sur les “efforts” à consentir, dans la visée d’une maximisation de “l’autonomie”, concept central chez Gorz.

Enfin, François Noudelmann interroge le philosophe et journaliste sur son “inflexion naturaliste” (p.88), lui qui, en bon sartrien, rejetait l’idée de nature alors qu’il la revendique dans cet entretien. C’est que, explique Gorz, les choses ont changé, et surtout que “le désir d’abolir la nature a toujours été un projet du capital” (p.92), où il faut entendre le mot nature au sens le plus plein qui soit. Gorz propose dans cette perspective une critique de l’intelligence artificielle qui prépare le corps artificiel des post-humains, et plus largement de la techno-science qui nous prépare un monde littéralement inhabitable.

Penser l’avenir permet d’appréhender un peu la pensée et la vie du philosophe singulier qu’était André Gorz. Facile d’accès, c’est le grand avantage de l’entretien, rapide, ce livre est une bonne occasion de rencontre. En fin de compte, il apparaît que Gorz était un penseur de la vie, mais d’une vie qui vaut la peine d’être vécue. Peut-être était-ce là toute son œuvre, qu’il est plus que jamais urgent de redécouvrir.

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