Bibliosphère : Emmanuel Le Magnifique – Patrick Rambaud


Emmanuel Le Magnifique

Chronique d’un règne

Patrick Rambaud

Editions Grasset et Fasquelle, 2019


La France, dit-on, ne s’est jamais remise d’avoir décapité Louis XVI – un vieux mythe auquel je ne crois absolument pas. Elle aurait gardé, de ce régicide, une culpabilité séculaire en héritage, comme un fardeau que se transmettent les nouvelles générations, une souillure au cœur de notre République. Les français seraient depuis des âmes damnées, désespérément en quête d’un nouveau roi restaurant l’éclat perdu du royaume, et auraient élaboré une monarchie présidentielle afin de faire pénitence. Vraie ou fausse, un écrivain a pris cette antienne, qui n’en finit pas de revenir comme un oignon mal passé nous revient au bord des lèvres, au sérieux. Depuis le règne de Nicolas Ier (alias Monsieur « casse-toi pôv con »), en passant par « François-le-Petit », Patrick Rambaud – de l’Académie Goncourt, excusez du peu – croque chaque année ou presque les nouvelles chroniques de notre monarchie républicaine. Au tour donc d’Emmanuel Le Magnifique d’entrer en piste.

Un livre truculent qui se lit comme un roman. D’ailleurs, Son Altesse Sérénissime (je parle de Macron), ne se vivait-il pas lui-même comme un personnage de roman ? Un Rastignac, un prêt à tout qui, en fin de compte, n’est parvenu qu’à parvenir. Emmanuel Le Magnifique s’ouvre avec l’enfance de celui qui est nommé le Prince, son éducation chez les jésuites, sa rencontre à quinze ans avec la baronne d’Auzière devenue depuis “la Princesse Brigitte”, alors son professeur de théâtre au lycée, leur liaison secrète mais enflammée, la complicité de la grand-mère du Prince, la dilection de l’enfant prodige pour les livres et la philosophie, sa collaboration avec Paul Ricoeur, la formation de son caractère solitaire et indépendant, son envie de laisser une trace… « L’enfance est un destin » disait Rilke, il n’avait pas totalement tort… Patrick Rambaud raconte, à sa façon, l’ambition démesurée de « Notre Prince Pétulant »(p.36) qui le mena sur le trône républicain. Après l’ENA, recruté par la banque Rothschild, il s’y aiguisa les griffes et les crocs, ce qui ne fut pas sans lui être d’un précieux secours en politique… En politique, justement. « Lesté de trois millions d’euros, avant l’impôt »(p.36), il se lança à l’assaut de la future start up France !

Ses rapports furent cependant tendus et ambigus avec « François-le-Petit » dont il fut secrétaire général adjoint de l’Elysée puis Ministre de l’économie, un jeu de dupes où chacun fut manipulateur et manipulé, où l’un et l’autre furent tour à tour requin puis proie jusqu’à ce que le Prince emportât finalement la mise en faisant d’une pierre deux coups : évincer François-le-Petit tout en préparant sa propre accession au trône. Emmanuel Le Magnifique nous fait revivre la campagne présidentielle de 2017, à commencer par les primaires du « Parti social » et du « Parti impérial », durant lesquelles la réalité dépassa plus d’une fois la fiction, avec leurs affaires louches, leurs candidats tous plus retors les uns que les autres, les œillades torves lors des débats télévisuels… et certains que l’on avait presque oubliés (avec un plaisir certain d’ailleurs) à l’image du « duc d’Evry », un certain M. Valls, ou d’autres encore. Le premier puis le second tour qui l’opposa à « Mlle de Montretout », et enfin, le sacre du Prince, qui fut paré alors du glorieux titre d’Emmanuel-le-Magnifique.

On se replongera aussi avec plaisir dans la première année de règne, durant laquelle notre majesté ne fut que gloire et succès : il fut adoré, adulé par les gazetiers français et étrangers, tout semblait devoir lui réussir. Ce fut sans compter sur le tempérament explosif de son peuple, les bourdes de ses propres ministres, et surtout, l’arrogance aveuglante de « Notre Eminent Souverain »(p.127). Les Couacs se succédèrent en une cacophonie bientôt assourdissante. Messieurs Bayrou et Ferrand ouvrirent le bal des déconvenues, la danse ne s’est depuis pas arrêtée, le Prince en a sans doute le tournis… Le livre s’achève, ou plutôt se suspend, lors de l’été 2018 : Emmanuel-le-Magnifique voit s’amonceler à l’horizon les nuages noirs gonflés de pluie et parcourus d’éclairs.

Tout au long d’Emmanuel Le Magnifique, Rambaud manie l’art de l’ironie et du surnom ravageur, qu’on en juge : François Hollande devient sous la plume de l’auteur « M. de la Corrèze, un politicien roué au bedon rassurant »(p.36) devenu après son élection « François-le-Petit pour son irrésolution et son inactivité. »(p.38), « François-le-Mou », « François-le-Lambin », « François-l‘Assoupi » ou encore « François-le-Mollusque »… On aura l’occasion de sourire, parfois aussi de réfléchir. Rambaud file la comparaison entre le Prince et le pape François, un autre jésuite, jetant des ponts inattendus mais forts intéressants. En creux, Rambaud dresse une critique virulente de la politique spectacle, de la perte de sens dont elle sert de décor miteux. On y voit se mouvoir des personnages à la voix de fausset, des Sganarelle ou des Alceste mais surtout beaucoup de Tartuffe. Le détour par la quasi-fiction souligne l’absurdité du spectacle. En costumant les personnages politiques à la mode d’antan, Rambaud les donne à voir pour ce qu’ils sont : de piètres comédiens mais de très bons menteurs, des manipulateurs habiles, sans honte et sans remord.

Un plaisir de lecture, Emmanuel Le Magnifique se lit sans que l’on voie le temps passer. Pour les amoureux de politique, mais aussi et surtout de roman !

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici