La Vendetta

Honoré de Balzac

1830


Troisième étape du Cycle Balzac : les romans courts. Nous poursuivons notre voyage dans l’œuvre du génial Honoré de Balzac avec l’un des premiers romans signés Balzac, paru en 1830, La Vendetta. Il s’intègre à la première partie de La Comédie Humaine, dans les Scènes de la vie privée.

L’histoire

Tout d’abord une brève présentation de l’histoire, une « aguiche » comme le disent les québécois – pour remplacer le « teaser » des anglo-saxons, car eux sont, outre-Atlantique, les derniers vrais défenseurs de la langue française, et gloire leur soit rendue pour cela, alors que nous, hexagonaux, avons depuis longtemps baissé les armes, nous avons capitulé lâchement et même pire, nous livrons pieds et poings liés notre belle langue à la soupe de pseudo anglais mondialisé, le « globish » (le mot lui-même évoque par un saisissant effet de mimétisme sonore une espèce d’éructation, un haut-le-cœur, un rot remontant des entrailles et précédant les vomissures) mais je m’égare, revenons-en à nos moutons, Balzac, en l’occurrence. Comme je le disais donc : place à l’aguiche !

Le roman débute en 1800, devant les Tuileries à Paris. Trois personnes, des étrangers sans doute, homme, femme et enfant, se tiennent là, pleins de misère et d’attente. Bartholoméo di Piombo, son épouse et leur fille, la jeune Ginevra di Piombo. Des corses, des corses fraîchement débarqués dans la capitale ! Bartholoméo, homme d’honneur dans la lignée d’un Mateo Falcone, fier au-delà de tout, s’en vient demander asile à l’Empereur Napoléon, son compatriote, après avoir accompli une funeste vendetta contre une famille rivale, les da Porta, c’est-à-dire après l’avoir décimée, femme et enfants compris. Bonaparte y consent, la famille di Piombo mènera donc une vie tranquille pendant quinze ans, sous la protection de l’Empereur. Mais en 1815, Bonaparte est défait, les anciens bonapartistes tombent en disgrâce. Cette même année, Ginevra tombe amoureuse d’un soldat corse, un proscrit de l’armée napoléonienne forcé de se cacher dans l’atelier d’un artiste parisien pour échapper à la mort. Pris d’un amour passionné, Ginevra et Luigi, songent à se marier. Mais Bartholoméo ne l’entend pas de cette oreille.

Le couteau-suisse des romans de Balzac

Ce petit roman est un chef-d’œuvre, mais à propos de Balzac, c’est presque banal. Cependant, ce qui l’est moins, c’est qu’il concentre en 70 pages environ toutes les spécificités, tous les thèmes (ou presque) que l’on peut retrouver de manière éparse dans l’immense œuvre balzacienne. La Vendetta est en quelque sorte un condensé.

1) A commencer par le style, bien entendu. Nous avons longuement parlé dans les premiers articles de ce cycle du style d’Honoré de Balzac, à la fois naturaliste par la précision des mots, et impressionniste par leur puissance évocatrice.
Balzac nous décrit l’atelier d’un artiste qui occupe les combles d’un immeuble parisien. Plus qu’une description laborieuse, voyez le tourbillon dans lequel il nous entraîne :

« Cet immense vaisseau, où tout paraît petit même l’homme, sent la coulisse d’opéra ; il s’y trouve de vieux linges, des armures dorées, des lambeaux d’étoffe, des machines ; mais il y a je ne sais quoi de grand comme la pensée : le génie et la mort sont là ; la Diane ou l’Apollon auprès d’un crâne ou d’un squelette, le beau et le désordre, la poésie et la réalité, de riches couleurs dans l’ombre, et souvent tout un drame immobile et silencieux. Quel symbole d’une tête d’artiste ! »

Quel symbole en effet ! Balzac semble là décrire non l’atelier bigarré du Paris du début du XIXème siècle, mais ses propres romans, son propre travail monumental : le « génie et la mort » sont les matériaux de Balzac, la « poésie et la réalité » son style, le « drame immobile et silencieux » son obsession…

2) Dans La Vendetta, Honoré de Balzac met également à l’honneur son amour pour l’Histoire, et en particulier pour l’histoire récente, à savoir la période napoléonienne. Les hauts faits historiques sont pour lui une source d’inspiration privilégiée, ils jouent souvent le rôle de toile de fond aux intrigues des romans, mais une toile de fond vivante, organique, c’est-à-dire faisant partie de l’intrigue elle-même. Il s’agissait là d’une des passions qu’il a su intégrer magnifiquement à ses romans. La Vendetta ne fait pas exception : le destin personnel des Piombo, et en particulier de Ginevra semble étroitement lié au destin de l’Empereur.

3) De même, on retrouve le goût qu’avait Balzac pour le croquis, l’esquisse, l’étude (au sens pictural du terme) ou le portrait, réalistes à l’extrême, à la manière d’un tableau d’Ingres dont le modèle semble presque palpable. Sa dilection toute particulière pour les personnages de toutes sortes et de toutes classes est ici amplement mise à profit : des jeunes filles bourgeoises, des aristocrates, une famille de corses sévères, un artiste peintre, mais aussi des gens du peuple et des miséreux. Ce que l’on appelle vulgairement les descriptions chez Balzac, mais qui tiennent plus de l’évocation que de l’énumération fastidieuse des caractéristiques propres d’un objet.

4) Autre particularité, la peinture est omniprésente. Tout une partie du roman se déroule dans un atelier d’artiste, et ce choix n’est pas anodin. Mais c’est aussi en filigrane qu’on retrouve page après page l’amour pour la peinture qu’entretenait Balzac. En fait, chez lui, la peinture n’est pas une illustration, elle n’est pas une copie du réel, comme le pensait Platon. Il semble que ce soit très exactement l’inverse : le réel est une copie des grandes œuvres de la peinture. Très souvent, tel détail de la réalité (du roman) est comparé à tel tableau, ou tel peintre dont il ne serait que la concrétion matérielle. « Déjà septuagénaire, grande, sèche, pâle et ridée, la baronne ressemblait parfaitement à ces vieilles femmes que Schnetz met dans les scènes italiennes de ses tableaux de genre » écrit-il à propos de l’épouse de Bartholoméo di Piombo. Le tableau est plus réel que le réel, qui ne peut que s’en inspirer maladroitement.

5) Je ne dirai qu’on mot du tragique que l’on retrouve dans nombre de romans de Balzac, et en particulier dans La Vendetta. C’est d’un ressort romanesque courant. Il s’agit bel et bien de tragédie, car il existe des destins chez Balzac, et ceux-ci sont scellés dès le début, non par un caprice divin, mais par des lois immuables, des lois sociales ou psychologiques. Une mécanique que l’on retrouve très souvent chez Balzac, où le pêché est moins un crime contre la divinité que la tentation de défier les lois tacites de la société, de vouloir aller contre le courant… Lié au tragique, se trouve l’amour, la passion, le sentiment le plus outré, le plus puissant, le plus incontrôlable et donc le plus dangereux. Celui par quoi le malheur arrive. Les deux thèmes romantiques (tragique et amour) sont, dans ce roman, portés à un degré rare.

Napoléon dans son cabinet de travail, Jacques-Louis David, 1812

Ginevra rencontrant Luigi (gravure)

Portrait de Monsieur Bertin, Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1832

L’enfance de Sixte-Quint, Jean-Victor Schnetz (1787-1870)

Cette énumération n’est bien sûr pas exhaustive et n’a pas la prétention d’être une étude du roman balzacien. Loin s’en faut. Mais remarquer que La Vendetta rassemble tout cela me semblait intéressant. A vous maintenant de dénicher tous les trésors que ce petit livre contient, bonne lecture !

Leave a Reply