Bibliosphère : Le réel et son double


Le réel et son double

Clément Rosset

Editions Folio Essais, 1984


Parler de Clément Rosset n’est pas une coquetterie d’amateur ou d’initié, ça n’est pas une manière de se distinguer, ça n’est ni un acte de patriotisme philosophique un tantinet franchouillard ni une sorte d’exotisme. Parler de Clément Rosset, c’est une nécessité !
Le philosophe Clément Rosset

Je ne ferai pas ici sa biographie, mais tout de même, il est sans doute l’un des philosophes français contemporains – et bien vivant ! – les plus importants. Et comme tout ce qui compte vraiment, on n’en parle pas beaucoup… Né en 1939, il a traversé le XIXème siècle philosophique sans jamais céder aux modes, sans souscrire aux idéologies dominantes et alléchantes, n’ayant d’autre souci que de faire son travail. Ni marxiste, ni maoiste, ni structuraliste, ni partisan de la « french theory », pas plus « nouveau philosophe »… Clément Rosset est simplement… Clément Rosset !

Ce détour extrêmement bref par la biographie du philosophe n’est pas innocent. Car il met en lumière son idée principale, développée tout au long de ses nombreux livres, et résumée par une phrase : « le réel a toujours raison« . Idée en apparence banale, une vérité de La Palice pourrait-on dire, voire, pour les plus virulents, une supercherie ! Mais l’enjeu est de taille. Rosset l’exprime dans un autre livre, Le Réel, Traité de l’idiotie : « On peut assurément soutenir que le fait de donner raison au réel constitue le problème spécifique de la philosophie : en ce sens que c’est son affaire, mais aussi qu’elle n’est, en tant que telle, jamais tout à fait capable d’y faire face« . Effectivement, l’histoire de la philosophie pourrait être l’histoire des tentatives – souvent involontaires – de récuser le réel, l’affaiblir, le contredire bref, pour utiliser le mot de Rosset : le dupliquer.

Le réel et son double est un petit livre (une centaine de page) écrit dans la belle langue de Clément Rosset, à la fois précise mais jamais lourde, technique sans être jargonneuse, toujours claire et lisible, même pour les non-initiés. C’est sûrement le meilleur livre pour entrer dans l’oeuvre de Rosset. On y retrouve bien sûr l’intuition du philosophe, à savoir que le réel est et rien d’autre. Il oppose au réel le double, qui selon lui structure le mécanisme des illusions à l’endroit du réel. L’illusion n’est pas de ne pas voir le réel, de le travestir, d’en détourner le regard pour ne pas le voir, toutes attitudes qui s’apparentent plutôt à l’erreur ou à la mauvaise foi. L’illusion consiste au contraire à ne voir que ce qui est (le réel) mais à ne pas en tenir compte, et c’est là qu’intervient le double. Elle consiste à dédoubler le réel pour le désamorcer.

Mais au-delà du rôle protecteur du double face à un réel jugé menaçant, Rosset met en lumière la vanité de toute illusion. Car, précisément, « le réel a toujours raison ». Il revient à la charge au moment même où l’on pensait avoir gagné la bataille, il resurgit  toujours sur la ligne d’arrivée quand on y pose le pied et nous dérobe la première place. Il y a une tyrannie du réel, car dans le mouvement même où on essaie de l’annuler, on le fait advenir. C’est en trouvant tous les stratagèmes pour y échapper qu’on crée les conditions de son apparition, bref, pour le dire très simplement : il n’y a que le réel.

Ainsi, les implications d’une telle pensée sont multiples, car le double est à la base de la colère, mais aussi de la bêtise – la vraie, la bêtise des gens intelligents donc incurables – et sur le plan philosophique, le double nomme la métaphysique. Toute tentative d’expliquer le réel par autre chose que lui-même, et plus profondément, toute tentative d’expliquer le réel, procède du double et donc est vouée à l’échec. De même la politique, l’idéologie peuvent être entendues comme des variations sur le thème du double. Enfin, Rosset esquisse une théorie de l’identité assez radicale, stimulante et dérangeante car contre-intuitive. L’identité (de soi à soi) qui suppose une reconnaissance est par principe impossible car la « re » connaissance, c’est-à-dire la connaissance à nouveau, implique que le réel se présente à nouveau à nous, qu’il se dédouble : pour reconnaître, encore faut-il connaître, et comment connaître au préalable ce qui est par définition unique, radicalement unique ?

Cet article aurait pu s’appeler « Déclaration d’amour à Clément Rosset » tant j’ai d’admiration pour cet homme. D’autres commentaires sur ses livres suivront, c’est une certitude, en attendant, lisez Clément Rosset, lisez Le réel et son double, lisez !

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