Tyrannie
Richard Malka
Editions Grasset et Fasquelles, 2018
Tyrannie, premier roman de Richard Malka, nous raconte, fort de l’expérience de son auteur en la matière, un procès hors-norme : celui d’une tyrannie. Les avocats mis en scène auront fort à faire, leur tâche semble même frôler le surhumain. Ils devront plaider autour d’un crime aux enjeux immense, car c’est rien moins que l’extension d’un régime totalitaire qui est en jeu. Retour sur ce roman qui est de ceux qu’on ne lâche plus une fois passé quelques pages…
Richard Malka
Né en juin 1968 à Paris de parents d’origine marocaine, Richard Malka est avocat inscrit au barreau de Paris, spécialiste entre autre de liberté de la presse, mais c’est aussi le scénariste d’une vingtaine de bandes-dessinées – L’ordre de Cicéron, La face Kärchée de Sarkozy… –, un essayiste et, depuis cette année, un romancier. En tant qu’avocat, on le connaît pour avoir défendu l’hebdomadaire Charlie Hebdo, notamment lors de l’affaire des caricatures de Mahomet, mais aussi Caroline Fourest, la crèche Baby Loup, il défend de nombreuses maisons d’éditions, des journalistes etc. Ses prises de position dans le débat public l’ont amené à s’opposer à la pénalisation des clients de prostituées, à défendre certaines personnalités politiques, ou, pour le compte du Syndicat National de l’Edition à publier, en 2015, un essai intitulé La gratuité c’est le vol – 2015 : la fin du droit d’auteur ?
Procès d’une dictature
Un monde comme le nôtre, une époque comme la nôtre. Si ne n’est qu’un nouvel état a fait son apparition dans le « concert des nations ». Menée par Isidor Aztri, l’Aztracie est bien ce qu’il est convenu d’appeler, d’un mot suranné certes, une tyrannie. Isidor est un gourou qui dirige son pays comme une secte, à grand renfort de culte de la personnalité, de discours grandiloquents, d’épurations politiques, de déportations, de fanatisme.
Oscar Rimah est sans doute le pédiatre le plus populaire d’Aztracie. Il est un homme de principes, droit dans ses bottes. C’est aussi un mari aimant et un père comblé. Opposé au devenir totalitaire de son pays, suite à une compromission terrible – une fausse expertise scientifique voulue par le régime et obtenue sous la menace de détruire sa famille –, dépressif, en proie à la culpabilité, à la peur et au tourment, il va être obligé de fuir avec femme et enfants à bord d’un rafiot poussif surpeuplé de pauvres hères dans son genre. Mais voilà, l’Aztracie n’entend pas laisser s’enfuir cet homme aussi facilement.
Parvenu en France au prix d’un drame terrible, il fomente et exécute un assassinat : l’ambassadeur d’Aztracie à Paris va mourir. Le jour venu, l’homme n’est pas là, son secrétaire fera l’affaire. Il est tué, froidement, d’une balle dans la tête.
Le procès de ce crime sera pour Oscar une tribune : l’ignominie du régime Aztride sera révélée au monde entier. Pour plaider il lui faut un avocat d’exception, ce sera Raphaël Constant, un « ténor ». Un mois de débats, d’examens de preuves, de témoignages, d’expertises, d’interrogatoires et de contre-interrogatoires, de plaidoiries et de réquisitoires pour, plus qu’un homme, juger une tyrannie. Un procès hors-norme, dantesque s’ouvre, Tyrannie le raconte.
Un roman sur la justice
On a souvent fait le parallèle avec 1984 de George Orwell, par rapport au régime totalitaire, à la surveillance qu’il instaure. Mais les points communs s’arrêtent là, ce parallèle me semble totalement hors de propos, il serait donc absurde de comparer le roman de Richard Malka au chef-d’œuvre d’Orwell.
Un premier roman, on l’a dit, qui a de nombreux défauts : style hésitant, personnages trop archétypiques à la psychologie grossière et parfois trop manichéens, beaucoup de phrases toutes faites, des resucées stylistiques, des relations entre les personnages sans surprises… Ca fait beaucoup dites-vous ? Et pourtant… Le signe caractéristique – « pathognomonique » disent les médecins – d’un bon roman est très simple : il ne vous lâche plus. Et c’est bien ce qui s’est produit avec Tyrannie.
Car Richard Malka nous décrit le procès, les joutes verbales entre les avocats avec une telle intensité, j’oserai même parler de virtuosité, qu’il nous semble être dans le tribunal et vivre ce qui s’y passe. Ce n’est plus un prétoire, c’est une arène. Les avocats s’envoient des banderilles acérées, leurs corps luisent de sang, ils dégoulinent de fureur. C’est un combat à mort qui se joue là. Pour un amoureux des mots, des mots qui tuent ou qui sauvent, c’est proprement jouissif. A l’image des avocats du roman – Raphaël Constant et Edouard Chenon, sans oublier l’avocate général Edith Carbonnier – Malka nous balade, nous promène émotionnellement : tantôt il nous semble que l’horreur de la tyrannie excuse le crime, tantôt que la justice ne peut que s’exercer avec la dernière des sévérités.
On l’aura compris, la portée politique du livre, bien qu’elle sous-tende en permanence l’histoire, n’est pas son point fort. Cependant, il est salutaire de donner à voir les mécanismes qui aboutissent à la mort de la démocratie et de la liberté. Mais la description de la montée d’un totalitarisme fanatique mené par un gourou dément a déjà été faite, et par de très grands auteurs. Malka nous raconte aussi en creux les aveuglements, les complaisances parfois dont bénéficient de tels régimes, et les compromissions de nombre d’intellectuels – et ici Alain Badiou est directement visé par l’auteur – prêts à déployer tout ce que l’esprit humain peut produire de rhétorique, de contorsions intellectuelles, pour justifier les milliers, les millions de victimes. Comment, au nom d’une idéologie certes pleine de promesses, peut-on accepter sans objection de sacrifier la liberté, la démocratie, les vies humaines ? Comment le fanatisme s’insinue-t-il dans les esprits, comme un poison lent ? Malka esaie d’articuler tout au long du récit la dimension politique, collective avec la dimension personnelle et individuelle. Il illustre les procédés par lesquels un régime parvient à façonner un type humain particulier, comment il transforme l’homme – et s’appuie sur ses penchants naturels – pour en faire des séides ou des opposants.
Le véritable intérêt du livre réside, selon moi, dans le procès qu’il met en scène. Richard Malka, par sa profession, connaît le milieu judiciaire par coeur, il nous y plonge. On voit se déployer toute la complexité des stratégies élaborées par les avocats, les calculs, les manipulations, les contorsions.
Une réflexion sur la justice, le droit, la sentence. C’est aussi l’occasion pour le lecteur de se mettre à la place des jurés. Une question demeure : Qu’aurais-je fait ?
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