Pop fascisme – Pierre Plottu & Maxime Macé

Pop fascisme

Comment l’extrême droite a gagné la bataille culturelle sur interne

Pierre Plottu & Maxime Macé

Editions divergences, 2024

Le monde bascule, tout à la fois progressivement et par à-coups, dans le fascisme d’extrême droite. La France d’Emmanuel Macron ne fait pas exception[1]. Ce mouvement mondial, qui semble inexorable, qu’on ne sait comment arrêter et dont on ne mesure pas encore la profondeur, ne surgit pas de nulle part, il se déploie sous l’effet de stratégies plus ou moins assumées et cohérentes. Le rôle des médias traditionnels dans cet ensemble stratégique est bien connu, quoique sous-estimé ; mais il existe à côté de cela une galaxie hétérogène d’acteurs d’extrême droite qui officie sur les réseaux sociaux et les divers médias numériques, véritable toile d’influenceurs, de créateurs de contenu ou de vidéastes qui propagent des idées ou des valeurs d’extrême droite et touchent un public gigantesque tout en restant largement hors des radars des grands médias. Ce Pop fascisme, comme les journalistes Pierre Plottu et Maxime Macé l’appellent, est une composante fondamentale de l’extension de la fachosphère. Leur livre étudie les stratégies voire les tactiques de ces influenceurs, mais aussi leurs relais auprès du grand public, il interroge la responsabilité des plateformes et donne des clés de compréhension et, en creux, de lutte contre cette peste numérique.

Les partis politiques ainsi que les principaux acteurs du spectacle politicien ne cessent de nous rebattre les oreilles avec ça : la bataille culturelle ! Il faut gagner la bataille culturelle pour prendre le pouvoir, prendre le contrôle des esprits, façonner l’opinion avant de l’emporter dans les urnes. Forgée par l’auteur communiste Antonio Gramsci l’idée de « bataille culturelle » s’est imposée comme le thèse central des stratégies politiques. Mais à ce jeu-là, c’est la droite et l’extrême droite qui ont visiblement gagné. Les idées d’extrême droite, longtemps considérées comme indéfendables, ont patiemment infiltré les esprits avant d’être dominantes dans certains médias et de pouvoir s’afficher au grand jour. Dans cette longue et lente diffusion, « internet a changé la donne. L’extrême droite a été le premier acteur politique à sentir la puissance de cet outil pour répandre son message au plus grand nombre et désintermédier sa propagande pour infiltrer les foyers sous couvert d’humour, de vulgarisation historique ou encore de « réinformation ». » (p.15) Quoi de mieux qu’un média marginal et fréquenté par des marginaux à ses débuts (internet) pour diffuser des idées elles-mêmes marginalisées (les idées d’extrême droite) ? D’obscurs blogs, des pages internet glauques ou des podcasts louches… puis des médias autoproclamés délivrant de prétendues vérités cachées, des influenceurs grand public qui plaisent aux jeunes et enfin des empires médiatiques entièrement dédiés à la cause de la propagande réactionnaire ou (néo)fasciste. A la croisée de ces chemins menant tout droit vers le fascisme dur, le pop fascisme joue un rôle déterminant : il impose ses codes, ses thèmes, habitue les esprits, manipule les faits, bâtit un narratif, reconstruit un monde à côté du monde[2].

De qui et de quoi parle au juste Pop fascisme lorsqu’il étudie les influenceurs et les figures d’extrême droite dominantes ayant investi les réseaux sociaux ? De Youtubers essentiellement, de créateurs de contenus, de pseudos-intellectuels, de podcasteurs influents, mais aussi d’auteurs de BD, d’activistes médiatiques, de « journalistes »… où l’on croise des noms comme celui de Papacito ou du Raptor Dissident pour les vidéastes, comme celui de l’haltérophile Baptiste Marchais reconverti en coach sportif ou de Doc Baron pour les influenceurs lifestyle, celui de Thaïs d’Escufon pour les militant(e)s, de Julien Rochedy pour les intellectuels à deux balles[3], de Marsault pour les auteurs de bandes dessinées ou de Pierre Sautarel, fondateur du site « Fdesousche », pour les journalistes. Tous ces gens, peu ou prou issus ou proches de groupuscules d’extrême droite fascistes, néonazis ou identitaires, se sont glissés dans les pas d’Alain Soral et de Dieudonné. Ils touchent un large public, qui se compte en centaines de milliers de personne au début, vite devenues des millions grâce à la visibilité que leur a offert l’empire Bolloré. « Si Soral et TV Libertés[4] ont ouvert la voie à l’élargissement de la fachosphère (notamment vers la complosphère, où l’antisémitisme affleure souvent), Papacito fait partie de ceux qui ont montré que l’époque et internet sont à l’incarnation du discours. » (p.115) Incarner le discours, lui donner un visage précis, une voix, une attitude, une personnalité que l’on va suivre sur les réseaux sociaux, loin de l’aridité du combat politique désincarné. C’est ainsi que le pop fascisme séduit tout particulièrement les jeunes.

Pour faire passer leurs idées, ces influenceurs « se placent sur le terrain de l’humour », il « revendiquent de faire de la politique d’une façon plus divertissante » et se présentent comme « transgressifs » (p.56). Ils peuvent dès lors mettre en scène le meurtre de militants de gauche, brandir des armes, insulter, représenter des violences physiques contre leurs adversaires politiques, les menacer explicitement… si c’est pour rire. Mais le message passe quand même. « Les blagues récurrentes, les cibles systématiques ainsi que l’utilisation de références communes à destination du spectateur permettent à l’influenceur de créer une impression de connivence et d’appartenance au groupe » (p.62). C’est cela, entre autres, le pop fascisme : un fascisme qui faire rire, mais pas un fascisme pour rire… au contraire. Autre moyen d’influence, en dehors de l’« humour », des contenus en apparence dépolitisés, vantant des modes de vie, des façons de s’habiller, de se comporter… le lifestyle est une manière détournée mais très puissante de diffuser des valeurs sans avoir l’air. Il s’agit de promouvoir alors une certaine virilité – s’habiller comme de vrais hommes, – une certaine force – les mâles ont de gros muscles – une certaine masculinité – les bonshommes mangent de la viande –, et en creux une certaine vision du monde. Il existe un « type de développement personnel « droitard » » (p.78) qui passe par le sport, l’alimentation carnée, l’alcool etc., et qui « témoigne surtout d’une volonté d’éloignement de la doctrine politique au profit d’une culture au sens global » (p.78). C’est cela l’hégémonie culturelle, pour rester chez Gramsci, qu’il s’agit de conquérir : plier les esprits, les corps, les mœurs, les façons de vivre. En cela, ces influenceurs sur Youtube, Tiktok, Insta, Twitter/X, Facebook, Telegram etc., jouent un rôle déterminant et irremplaçable.

Ce pop fascime, on le voit, est très divers et très large, il s’exprime sur une grande variété de plateformes et de médias, et vise à structurer les différents courants d’extrême droite – des ultrareligieux aux athées revendiqués, du courant tradwife aux « féministes » d’extrême droite, des royalistes aux populistes[5], des entrepreneurs brutaux aux contempteurs du capital, du regard bovin des « mascus » aux lettrés élégants… Malgré les différences, parfois grandes, la force de l’extrême droite, aidée par le mouvement pop fasciste des réseaux sociaux, est de savoir se rassembler, se structurer, s’hybrider pour se renforcer. Aujourd’hui, cela ne passe plus que par le petit monde de la toile, dans la mesure où la « fachosphère a fini par déborder d’internet pour se répandre dans l’édition et jusque dans les médias institutionnels » (p.15), ceux du groupe Bolloré bien évidemment, mais même plus largement. Les influenceurs et les médias classiques sont interconnectés, comme le montrent parfaitement Pierre Plottu et Maxime Macé. Le nœud actuel de cette interconnexion, le lieu de rencontre du pop fascisme et du monde politico-médiatique traditionnel se situe sur les plateaux (télé et radio) de Cyril Hanouna. Le « gros bouffon du PAF » (p.105) est en fait un acteur crucial et incontournable de la fascisation et de la structuration des divers courants d’extrême droite, en leur donnant une visibilité inespérée et une respectabilité inattendue. Hanouna n’est pas que le perroquet ou le roquet de Bolloré, c’est avant tout un entrepreneur des discours d’extrême droite très puissant et qui jouit d’une grande autonomie.

Pop fascisme dévoile parfaitement les stratégies des influenceurs dans toute leur diversité, il démonte aussi leurs business juteux et frelaté et décortique les processus de captation d’un public séduit puis progressivement détourné vers les idées les plus rances. Le livre montre ainsi comment nous avons perdu la bataille culturelle. C’est donc aussi un appel à reprendre les armes. Bonne lecture !


[1] Nous l’avons écrit ici-même sur Phrénosphère : non seulement le macronisme pave la voie à l’extrême droit, mais il intègre quantité de ses thèmes, éléments programmatiques, discours et méthodes. Ainsi, le macronisme peut-il – et doit-il – être considéré comme faisant partie de l’extrême droite.

[2] Je vous renvoie à l’excellent livre de Naomie Klein Le Double. Voyage dans le Monde miroir, Actes Sud, 2024.

[3] Qui se prétend spécialiste de la pensée de Friedrich Nietzsche, au sujet de laquelle il a écrit plusieurs livres, et qu’il enrôle du côté du machisme et du virilisme le plus bas de plafond. Livres qu’il édite lui-même via une société d’édition qu’il a créée à son propre usage. Bien sûr, il s’agit d’un travail oscillant entre l’indigence intellectuelle, la mécompréhension la plus totale et la mauvaise foi ; subtil mélange de bouillasse et de vomissure grumelantes.

[4] Le média d’Alain Soral.

[5] J’emploie ce terme dans son acception vulgaire et dévoyée. Le populisme est en réalité une tradition politique d’une grande richesse.


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