Macron l’emmerdeur


Macron l’emmerdeur

De l’autocratie en pandémie

Autour de l’entrevue au Parisien


Première entrevue de l’année pour Emmanuel Macron, premières insanités. Le 4 janvier 2022, le quotidien Le Parisien publie les réponses du Président à sept Français lui posant des questions sur divers sujets. Une réponse, en particulier, a mis en émoi toute la presse, les commentateurs, les personnalités publiques et même les députés de l’Assemblée nationale. Celle sur le SARS-CoV-2, où Manu se déclare prêt à « emmerder les non-vaccinés ». Outre le propos injurieux, qui déshonore celui qui le prononce – mais on ne peut déshonorer un homme sans honneur –, outre le ton indigne d’un Président – qui n’a jamais été digne de sa fonction -, outre le buzz, essayons d’analyser le fond des paroles – écrites donc relues, soupesées, scrutées et avalisées par l’armada des communicants élyséens – de cet homme qui, décidément, est la honte de la nation.

Commentaires au fil de l’eau d’une entrevue à l’avenant du reste du quinquennat de Macron : grossière, mensongère, prétentieuse et (néo)libérale. Je reprends quelques questions posées et leur réponse intégrale, suivie d’un commentaire. L’entrevue intégrale est disponible sur le site du journal Le Parisien.


 

Pascal Doublier. La présence du drapeau européen sous l’Arc de Triomphe a scandalisé Valérie Pécresse, Marine Le Pen et Éric Zemmour. Que pensez-vous de cette réaction ?

EMMANUEL MACRON. Cette réaction était disproportionnée et malvenue. Si nous avions retiré le drapeau français, j’aurais pu comprendre. Or le drapeau français est présent lors des cérémonies patriotiques, comme le 8 Mai, le 11 Novembre, le 14 Juillet. Mais si vous passez un jour comme aujourd’hui sous l’Arc de Triomphe, il n’y a pas de drapeau. Ce qui a été fait le 31 décembre au soir et le 1er janvier a été de marquer cette entrée dans la présidence française de l’Union, en inscrivant notre drapeau européen — car il est aussi le nôtre. Là où il n’y avait rien, nous avons mis le drapeau européen. Donc, c’était une mauvaise polémique. Ce drapeau européen, j’en suis fier. Il faut l’assumer car c’est un symbole de paix. En écoutant trop de discours politiques qui opposaient la France à l’Europe, je me disais : ont-ils oublié d’où ils venaient ? Ma grand-mère maternelle est née sous la Première Guerre mondiale en 1916, elle a vu son père revenir estropié et la moitié de sa famille décimée. Elle a été mère au premier jour de la Seconde Guerre mondiale, elle a vu son mari partir à la guerre, puis son premier fils partir à la guerre d’Algérie. Et, ensuite, elle a connu la paix. Nos générations n’ont jamais connu la guerre. J’aime l’Europe parce que c’est un projet de paix.

C’est reparti pour un tour : l’Europe, c’est la paix. Idée maintes fois réfutée, mais que l’on ressert chaque fois, comme un vieux fond de sauce qui traîne au fond du frigo. Tout d’abord, « l’Europe » est un continent, et un continent n’a rien à voir avec la guerre ni la paix. Personne, d’ailleurs, n’est contre l’Europe, ce serait aussi sot que d’être contre l’Asie, l’Antarctique, l’Océan Indien ou la Cordillère des Andes. En revanche, l’Union européenne est un projet politique, et c’est à cela que l’on s’oppose. Notre président philosophe n’est décidément pas bon géographe. Quant à la paix, eh bien on a très justement fait remarquer que 1/ c’est la paix qui a fait l’Union européenne et non l’inverse, que 2/ il n’y a pas de paix en Union européenne mais une guerre économique farouche 3/ les récalcitrants sont châtiés manu militari, je vous renvoie au traitement réservé à la Grèce.

Enfin, sur la polémique elle-même, il eût été judicieux, si nos dirigeaient eussent eu un minimum de jugeote, d’adjoindre le drapeau française à celui de l’Union, comme c’est l’usage depuis toujours.


Pascal Doublier. On a l’impression que la construction européenne piétine, que sur beaucoup de sujets des pays s’opposent pour protéger leurs intérêts nationaux. Comment la rendre plus efficace ?

Par tempérament, il m’arrive aussi de penser que ça va trop lentement… C’est une construction politique inédite. La grande difficulté, c’est comment réduire nos écarts de perception, de sensibilité, nos écarts historiques. C’est le défi des prochaines années. Comment y arriver ? Il faut d’abord considérer que l’Europe, c’est le respect de nos différences qui sont une chance. Ensuite, il faut accepter sur certains points, comme les migrations, de prendre du temps mais de bousculer les habitudes. On va essayer de le faire sur Schengen, l’Europe des migrations. Il faut moderniser cette Europe, où tout se décide à vingt-sept, à l’unanimité. Il faut la transformer. Alors faut-il le faire à vingt-sept, ou une Europe à plusieurs vitesses ? C’est l’objectif de la Conférence sur l’avenir de l’Europe qui se tiendra en mai. On est en train de faire bouger ça. Là, on a décidé de faire tous un impôt minimum de 15 % et de taxer les GAFA (géants du numérique). Victoire ! Il faut être ambitieux. L’Europe n’est sans doute pas au bout de ses propres frontières, les Balkans occidentaux ne seront jamais en paix si on les laisse à part. Mais on ne peut pas garder ces règles de fonctionnement.

Beaucoup de choses ici. Passons sur la scie des « différences qui sont une chance », verbiage creux, à mille lieux d’un projet politique digne de ce nom. De quelles « différences » s’agit-il ? Pour qui sont-elles une chance ? Qu’est-ce que cette « chance » en question ? Toutes les différences sont-elles une chance ? Comment les accommoder entre elles ? Toutes ces questions, et bien d’autres, se posent, auxquelles, bien sûr, personne ne répond.

La victoire clamée par Macron sur l’impôt commun est en réalité une défaite pour la France, car c’est la continuation du dumping fiscal qui nous étrangle, et c’est surtout une façon de tirer, presque mécaniquement, les impôts des pays européens, en particulier la France, vers le bas, c’est-à-dire vers le moins-disant fiscal et social. L’Union européenne poursuit son travail de sape des solidarités nationales et des services publics. Pour la « taxe GAFA » (comprenez : les géants du numérique étatsuniens, monopolistiques, que sont Google, Amazon, Facebook et Apple) dont Macron se gargarise, point de fanfaronnade… Celle-ci ne rapporte presque rien (moins de 400 millions d’euros)[1] car les façons d’y échapper sont nombreuses, masquant mal le fait qu’il s’agisse ni plus ni moins d’un effet d’annonce, et certainement pas d’une réelle volonté de taxer ces entreprises géantes. D’autant que la France et quelques autres pays velléitaires, courageux mais pas téméraires, ont tout fait pour rassurer l’Oncle Sam, vent debout, en adoptant la possibilité d’un crédit d’impôt pour exonérer ces entreprises lorsqu’entrera en vigueur l’impôt mondial commun de 15%[2]. Autrement dit, la France remboursera les entreprises étatsuniennes du trop perçu à cause… de la fumeuse taxe GAFA qui n’est, décidément, qu’un leurre[3].


Isabelle Berrier. Je travaille dans un établissement d’accueil pour personnes âgées qui gère une équipe de dix aides-soignants et cinq infirmières. À ce jour, je n’ai plus qu’une seule infirmière. On n’a plus personne pour s’occuper de nos malades et ce n’est pas la prime de 206 euros brut du Ségur de la santé qui va nous faire tenir…

Le Ségur, ce n’est pas une prime, mais une revalorisation pérenne des salaires dans le public, entre 180 et 400 euros par mois, ce qui n’a jamais été fait dans notre pays, c’est inédit. Après, le sujet de la rémunération dans les métiers du soin a créé un problème de manque de personnel. Aujourd’hui, on a des gens qui démissionnent. À la fatigue, s’est ajouté un problème de sens, d’organisation, de conditions de travail et de déclassement. Donc, on va avoir des décisions à prendre, car on arrive au bout d’un modèle.

Mais lesquelles ?

On doit mieux reconnaître les métiers du soin. C’est un chantier colossal. Il faut notamment revoir les temps de travail de certains soignants, reprendre les cycles pour qu’ils travaillent dans de bonnes conditions et en les payant dignement. On doit aussi assurer une formation tout au long de la vie. C’est comme cela que l’on gardera de l’attractivité.

Du creux, du vide, de l’air. La réalité : coupe des personnels, donc des lits disponibles, dégradation des conditions de travail, dégoût croissant des personnels hospitaliers, « forfais » d’une vingtaine d’euros à l’entrée des urgences… Tout est fait pour massacrer encore plus un secteur déjà moribond.


Marie-Eve Lenegre. Ce mercredi a lieu un nouveau Conseil de défense sanitaire. Doit-on s’attendre à des nouvelles mesures ?

Les décisions ont été annoncées la semaine dernière, donc il faut les laisser vivre. On reste sur la direction qui est donnée en cette rentrée de prudence. Au fond, la ligne est simple : c’est vaccination, vaccination, vaccination, et passe vaccinal. C’est l’objectif du texte de loi qui va être voté autour du 15 janvier. L’idée, c’est de mettre beaucoup de contrainte sur les non-vaccinés et, collectivement, de respecter les gestes barrière. Au Conseil de défense, on va faire un suivi de la rentrée des classes, des mesures déjà prises, de l’état de notre système hospitalier.

Macron confirme la stratégie française, qui est en fait une non-stratégie : tout miser sur la vaccination, et rien d’autre. Ce qui est la meilleure façon de ne pas penser la sécurité sanitaire et de laisser se développer l’épidémie. Avec, en revers pernicieux de la médaille, la poursuite de la casse de l’hôpital public. Entendons-nous bien, la vaccination est remarquablement efficace, et elle est une composante indispensable et majeure de ce que devrait être une véritable stratégie de lutte contre l’épidémie de SARS-CoV-2. Néanmoins, dans la mesure où la vaccination ne protège pas à 100% des formes graves, et protège relativement peu des contaminations, une croissance exponentielle des contaminations entraîne mécaniquement à terme, quoique de façon retardée et atténuée, une croissance exponentielle des formes graves. Pire, la vaccination perd en efficacité face au variant Omicron qui est certes sans doute moins grave que le variant Delta, mais l’est plus que le SARS-CoV-2 d’origine, celui qui a paralysé le pays pendant la première vague. Combiné à une transmissibilité très forte, et le fait qu’il déclenche des formes graves chez les enfants (qui, par parenthèse, ne sont pas concernés par le passe vaccinal), on ne peut qu’être particulièrement inquiet de la totale inaction française. Pour toutes ces raisons, la non-stratégie française du « le vaccin et rien d’autre » est stupide et dangereuse. Elle démontre surtout le fait que Macron et ses nervis tous plus fous les uns que les autres ne se préoccupent absolument pas de la santé des Français, confirmant tristement notre analyse de juillet lors de la promulgation du passe sanitaire. Le passe sanitaire était déjà une mauvaise stratégie[4], sa dégénérescence en passe vaccinal est encore pire. L’objectif explicite n’est même plus d’ordre sanitaire, mais uniquement vaccinal : tout est dit.

Car une vraie stratégie est possible : recours massif aux dispositifs de ventilation et d’aération, mesure systématique du taux de CO2 comme indicateur de saturation de l’air, déploiement d’un dispositif de tests massif, en particulier à l’école, au lieu de les restreindre en les rendant payants, isolement systématique des contaminés, obligation réelle de télétravail[5] lorsque cela est possible, diffusion massive des masques FFP2 (mais encore aurait-il fallu défendre une politique industrielle de fabrication nationale…) qui protègent le porteur en plus de protéger les autres, avancement et prolongation des vacances scolaires (les écoles étant des lieux de diffusion incontrôlée du virus)… En plus, cela va de soi, d’une vraie politique publique de la santé : ouverture de lits, recrutement conséquent de personnels hospitaliers avec forte hausse de la rémunération etc. Depuis maintenant près de deux ans, on répète, à chaque vague, la même chose. Rien n’est anticipé, rien n’a été fait pour réarmer l’hôpital ou la prise en charge ambulatoire des patients les moins graves. Alors qu’en deux ans, on aurait pu, si ce n’est réparer l’hôpital, au moins cesser de le détruire. Un mot, à ce propos, à ceux qui rejettent la vaccination au nom, précisément, de la fermeture des lits et du démantèlement de l’hôpital public. Ils estiment que la gravité de l’épidémie vient du manque de place ou de personnels à l’hôpital. C’est en partie vraie, mais en partie seulement. Car ce qu’ils oublient, c’est que ces lits, des humains les remplissent. On pourrait avoir 10 000 lits de réanimations et des équipes en conséquences, notre système ne serait plus en tension, les soignants pourraient faire leur métier tranquillement, tout serait formidable à l’hôpital. Et pourtant : on ne peut pas se satisfaire d’avoir 10 000 patients en réanimation à chaque instant, 20 000 poumons potentiellement détruits, 10 000 vies potentiellement anéanties. Autrement dit, même avec le meilleur système hospitalier du monde, il faudrait faire notre maximum pour freiner l’épidémie, c’est-à-dire le nombre de morts, mais aussi de séquelles irréversibles ou de traumatismes corporels et psychiques.


Hakim Bey. Que pensez-vous de la vaccination pour les 5-11 ans ? Est-ce normal de vacciner les plus jeunes alors que certaines personnes plus âgées ne se font toujours pas vacciner ?

Pour les enfants, c’est d’abord le choix des parents. Mais vacciner les enfants, c’est, au fond, protéger les parents et les grands-parents. Le choix qu’on a fait progressivement pour les adultes, c’est quasiment un choix d’obligation vaccinale. Le 12 juillet dernier, j’ai annoncé le passe sanitaire, mi-octobre, le test payant. Et là, une nouvelle étape avec le passe vaccinal. Cela va maintenant coûter plus cher et être plus contraignant pour ceux qui ne veulent toujours pas se faire vacciner.

Solène Jalet. C’est vrai qu’avec toutes les nouvelles mesures qui sont mises en place, on a l’impression d’une obligation vaccinale déguisée. Alors est-ce qu’officiellement, vous allez rendre la vaccination obligatoire ?

Je nous pose collectivement la question. Faisons l’hypothèse : si demain je dis : « pour tous les adultes, il faut être vacciné ». Comment on le contrôle et quelle est la sanction ? C’est ça, le vrai sujet. Je vais forcer des gens à aller se faire vacciner ? Les emprisonner et puis les vacciner ? Vous allez me dire : « vous êtes quelqu’un de bizarre vous… » On ne fera pas ça. Leur mettre des amendes ? Si j’ai des gens très modestes qui ne sont pas vaccinés, je vais leur mettre 1 000 euros, 2 000 euros, d’amende ?

Réponse débile, comme sait en produire Macron, le débile en chef. Les gens qui ne présentent pas leur passe sanitaire où il le faudrait écopent de 135 euros d’amende – quelle que soit leur situation sociale. Punir des non-vaccinés ne lui fait pas peur, son argument ne tient pas. De plus, la vaccination est obligatoire pour 11 vaccins. Cela ne relève pas de la « bizarrerie ». On voit bien qu’il ne sait quoi répondre à cette question légitime. Ses talents d’anguille sont singulièrement limités…


Isabelle Berrier. Mais tous ces gens-là qui ne sont pas vaccinés sont ceux qui occupent à 85 % les réanimations… Et, par contre, il y a des gens qui sont atteints de cancers dont on reporte les opérations, à qui on ne donne pas l’accès aux soins et qui sont vaccinés !

Ce que vous venez de dire, c’est le meilleur argument. En démocratie, le pire ennemi, c’est le mensonge et la bêtise. Nous mettons une pression sur les non-vaccinés en limitant pour eux, autant que possible, l’accès aux activités de la vie sociale. D’ailleurs, la quasi-totalité des gens, plus de 90 %, y ont adhéré. C’est une toute petite minorité qui est réfractaire. Celle-là, comment on la réduit ? On la réduit, pardon de le dire, comme ça, en l’emmerdant encore davantage. Moi, je ne suis pas pour emmerder les Français. Je peste toute la journée contre l’administration quand elle les bloque. Eh bien, là, les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc, on va continuer de le faire, jusqu’au bout. C’est ça, la stratégie. Je ne vais pas les mettre en prison, je ne vais pas les vacciner de force. Et donc, il faut leur dire : à partir du 15 janvier, vous ne pourrez plus aller au restau, vous ne pourrez plus prendre un canon, vous ne pourrez plus aller boire un café, vous ne pourrez plus aller au théâtre, vous ne pourrez plus aller au ciné…

[…]

Isabelle Berrier. Mais aujourd’hui, ils font le tri sur l’hôpital nord de Marseille !

Non. Le tri, ça a un sens. Cela veut dire que quelqu’un arrive aux urgences et qu’on dit : « non, on ne le prend pas ». C’est une ligne rouge pour moi. Des pays ont vécu le tri, au début de cette crise, où on a dit à des parents, à des enfants : on ne le prend pas, on arrête, on ne lui donne pas sa chance. Nous n’avons jamais été confrontés à ça. Aujourd’hui, il n’y a pas de tri. Sur le terrain, j’ai des capteurs constamment. Mais, parce qu’il y a des gens qui refusent toujours de se faire vacciner, ils arrivent aux urgences et ils font que d’autres, doivent être transférés. Mais nous ne sommes pas aujourd’hui dans une situation où nos services d’urgence ne peuvent pas accueillir tous les patients. Moi, ma responsabilité, c’est que le pays ne se désunisse pas dans ces débats-là. Le fait même que l’on pose la question du refus de soin pour des gens non vaccinés est un drôle de virus. Et ça, c’est l’immense faute morale des antivax : ils viennent saper ce qu’est la solidité d’une nation. Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyen.

Beaucoup de commentaires ont déjà été produits sur cette « séquence ». Macron explicite sans fard sa seule stratégie : emmerder les non-vacciner en les privant peu à peu d’existence sociale. Je ne reviendrai pas sur l’ineptie sanitaire de cette stratégie. Néanmoins, cela met en lumière le point pour moi crucial de l’affaire : si la stratégie de Macron n’est pas d’ordre sanitaire, elle est alors d’un autre type d’ordre, qu’il convient d’élucider. Ce qui se joue là n’est pas sanitaire, je ne le répèterai jamais assez, mais ce sont les prémices d’un contrôle social généralisé. Macron met au point les délinéaments d’une ingénierie sociale destinée au contrôle des masses et à leur auto-contrôle. Car la puissance publique, les forces de l’ordre, n’interviennent finalement que fort peu, ce sont les citoyens eux-mêmes qui sont chargés du contrôle de leurs concitoyens. Ces techniques d’ingénierie sociale sont fort complexes : traçage numérique, utilisation de smartphones, de codes d’identification, de laisser passer, mais aussi, comme lors des couvre-feu, attestations en tous genres, puis émission d’ordres et de contre-ordres arbitraires et contradictoires, auxquels il faut se plier séance tenante, diffusion de messages gouvernementaux à une cadence effrénée… Ce sont autant de situations présentées comme exceptionnelles (« état d’urgence sanitaire ») mais qui, peu à peu, et comme c’est toujours le cas, se pérennisent, s’implantent dans les normes sociales. S’il y a une non-stratégie sanitaire, la stratégie de contrôle social est subtile. En parlant crûment, en employant des mots grossiers, Macron dresse un écran de fumée : on se concentre sur les mots, en non ce qu’il y a derrière. Il essaie de focaliser l’entièreté des débats autour de la vaccination, et surtout de rejeter toute la responsabilité sur les individus. Habile manipulation du débat public, qui fonctionne[6] !

Contrôle social, donc. C’est justement dans cette perspective que vient la phrase terrible « un irresponsable n’est plus un citoyen ». On pourrait disserter sur le rapport entre citoyenneté et responsabilité, car il entre incontestablement, dans l’exercice de la citoyenneté démocratique, une part de responsabilité. Ce qui est terrifiant ici est le dévoiement total de l’idée même de responsabilité, qui « occupe une position stratégique dans la mise en place de la rationalité néolibérale »[7]. Car ce qui est en filigrane derrière cette proposition est la réduction de la citoyenneté à la responsabilité individuelle hors de toute inscription sociale. En effet, un « irresponsable » selon Macron n’est pas quelqu’un qui serait pénalement irresponsable au sens de l’abolition des facultés ou du discernement, ce n’est pas quelqu’un qui « n’est pour rien dans ce qui lui arrive ». Un enfant, un fou, sont irresponsables. Ici, c’est l’inverse, « l’irresponsable » c’est celui qui est totalement responsable de la situation défavorable qui l’afflige et risque, par sa faute, d’affliger les autres. Est « irresponsable » celui qui est responsable de ne pas prendre ses responsabilités. Prenons un exemple : le chômeur est responsable de son état (car il ne « traverse pas la rue »[8]), il est donc un irresponsable face à la collectivité. Macron rajoute à cette idéologie de la responsabilité individuelle un échelon inédit : la déchéance de citoyenneté. Il franchit une étape supplémentaire : un « irresponsable » (qui est en fait totalement et individuellement responsable de ce qui lui arrive) n’est plus un citoyen. Il s’agit bien d’une citoyenneté à deux vitesses ou plutôt, d’une citoyenneté conditionnelle. Bientôt, on pourra peut-être considérer que le vote, ou la parole publique, du chômeur compte moins, voire pas du tout, car il est un irresponsable. Et cela est vrai dans tous les domaines. En ce sens,  emmerder les non-vaccinés à une portée plus générale. Aujourd’hui, on emmerde les non-vaccinés, mais demain, on emmerdera le chômeur, le retraité, l’opposant, le récalcitrant à l’ordre (néo)libéral.

Macron enrobe tout cela sous une couche de moraline inepte, il parle de « faute morale des antivax »[9], il parle de la « solidité d’une nation », il veut que le « pays ne se désunisse pas » et ressort la vieille antienne libérale de la liberté qui menace « celle des autres »[10]. Mais cela ne prend pas, la mention au collectif est un paravent. Tout cela est une façon à peine déguisée de créer du bouc-émissaire, du pharmakos, pour parler comme Bernard Stiegler, un bouc-émissaire qui n’est plus un citoyen. Il s’agit d’unir les citoyens responsables contre les non-citoyens irresponsables – au nom de la démocratie le plus souvent. En invoquant l’unité de la nation, donc, en creux, la démocratie, Macron désigne comme coupable une partie de la population, qui se voit d’ores et déjà rogner une part fondamentale de ses droits. Bientôt, cela ira sans nul doute jusqu’à rogner y compris leurs droits politiques – car, après tout, pas de démocratie pour les ennemis de la démocratie.


Solène Jalet. Justement, quelles sont les actions concrètes pour inciter les jeunes à voter ?

Si vous ne votez pas, vous donnez plus de poids aux autres. On ne peut pas dire qu’on veut changer la société sans participer. La démocratie, c’est d’abord le vote. Je veux lutter contre une société de l’abstention et de la violence. Vous n’avez pas le droit d’être violent contre les maires, les députés et le président, aussi parce que vous pouvez les changer à chaque échéance. Le vote est une obligation citoyenne. C’est un droit de vote et c’est un devoir de l’exercer. À nous d’innover aussi dans les pratiques.

« La démocratie, c’est d’abord le vote ». Non. La démocratie est un mode d’exercice du pouvoir par le peuple des citoyens, non un mode de désignation de ceux qui l’exercent. Cette idiotie est très largement reprise en France, comme partout, ce qui signe le fait que, incapables de penser la démocratie, nous sommes incapables de l’exercer. Lorsque Président dit que le vote est une « obligation citoyenne », il dit en fait que seuls ceux qui votent participent de la citoyenneté, on en revient au même problème que tout à l’heure. Ceux qui n’ont pas voté n’ont pas leur mot à dire, ils n’ont qu’à se taire, car ce ne sont pas des citoyens à part entière. Cette conception de la démocratie comme reposant intégralement sur le vote est une antidémocratie.

J’aurai pu commenter longuement chaque intervention du Président Macron, tant il y a de mensonge, d’ignominie et souvent de bêtise dans ses propos. J’ai préféré me concentrer sur ce qui a fait réagir tout le monde, pour y apporter mon interprétation. Macron finit son quinquennat comme il l’a commencé, et les médias l’accueillent avec la même complaisance. La politique et la démocratie ont du souci à se faire, ce qui signifie que nous avons tous du souci à nous faire. 

 


[1] https://www.lefigaro.fr/vox/economie/la-taxe-gafa-n-est-pas-suffisante-pour-mettre-un-terme-au-monopole-numerique-20210903
[2] https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/taxe-gafa-europe-et-etats-unis-enterrent-la-hache-de-guerre-1357305
[3] https://www.alain-bensoussan.com/avocats/taxe-gafa-les-accords-sont-lances-entre-leurope-et-les-etats-unis/2021/11/29/
[4] J’avais plaidé pour une vraie obligation vaccinale qui, contrairement à ce qui est dit, n’implique pas un flicage généralisé de l’espace public – mais implique des sanctions en cas de manquement.
[5] Bien que je sois opposé au principe du télétravail qui est un moyen supplémentaire d’aliénation, il est, en l’occurrence, un recours.
[6] Dans les deux camps d’ailleurs. Beaucoup d’opposants à Macron tombent dans le piège qui leur est destiné : ils refusent la vaccination et les mesures sanitaires, et donc se rendent complices de l’inaction sanitaire, qui tue et envoie des gens en réanimation. Ils sont incapables de penser la nécessaire conjonction d’une opposition à Macron et au virus.
[7] Myriam Revault d’Allonnes, L’esprit du macronisme, ou l’art de dévoyer les concepts, Seuil, 2021, p.67.
[8] « Traverser la rue » signifie être prêt à la mobilité, à accepter n’importe quel emploi, à être flexible au maximum, à se vendre à tout prix etc. Traverser la rue, c’est être parfaitement mobile, n’être qu’un « flux », pour employer le mot de Barbara Stiegler, un fantôme sans attache.
[9] Que je ne veux pas non plus minimiser. Les antivax ont bien sûr un rôle très néfaste dans cette épidémie. Il est par contre faux de prétendre qu’il est à placer au premier rang.
[10] Pour une analyse précise de la liberté libérale, je renvoie à mon propre travail : Geoffrey Mercier, Ce que le marché fait au monde, L’Harmattan, 2020, chapitre 4.

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