Lutter contre le COVID : A propos du “Pass Sanitaire”
Vaccins, science, société de contrôle et néolibéralisme
Considérations sur la “dictature sanitaire”
Le « Pass Sanitaire » n’est pas une décision dictatoriale. La France ne bascule pas d’un coup dans le totalitarisme le 12 juillet 2021 à 20 heures. Ce serait une analyse bien trop grossière. Le problème n’est pas la décision d’un passe sanitaire, mais que cette décision soit le fait d’un Etat qui n’est déjà pas une démocratie, mais une oligarchie autoritaire – ce qui n’est pas non plus une dictature. C’est parce que nous ne vivons pas en démocratie que les restrictions de liberté sont vécues comme dictatoriales. Pour être plus précis, c’est parce que nous ne sommes pas en démocratie que des mesures qui ne sont pas forcément attentatoires aux libertés deviennent effectivement des restrictions de liberté. On voit alors plus clairement le problème : la destruction de la démocratie, de la République. Aujourd’hui, sous les coups de boutoir du (néo)libéralisme qui avance, tel un bélier de siège, toutes les dimensions de l’action publique peuvent devenir prétexte à attaquer les libertés publiques, et elles le sont effectivement. L’éducation nationale est devenue le lieu privilégié de la destruction des savoirs et de la déformation des jeunes esprits – ce que le professeur René Chiche nomme justement « désinstruction »[1] – en dépit du travail, il faut toujours le rappeler, remarquable et salutaire, d’un certain nombre de professeurs[2]. La sécurité publique est l’occasion de museler, par la force, les contestataires et de corseter l’expression de l’opposition. Les normes en tous genres permettent d’orienter à l’envi les comportements et de standardiser la production etc. Bien sûr, tout cela est tendu vers un but unique : le marché concurrentiel[3]. Dans ce dispositif général, la santé a son rôle à jouer. Une crise sanitaire de l’ampleur de celle que l’on vit est donc intégrée au logiciel macroniste : comment s’étonner qu’un pouvoir néolibéral ne traite pas la crise sanitaire autrement que selon les logiques du néolibéralisme ?
Et pourtant, le virus existe et fait des morts, provoque des hospitalisations, entraîne des dégâts à long terme sur la santé de dizaines de milliers de personnes. Les dégâts du COVID ne se limitent pas en France, il s’en faut de beaucoup, aux plus de 110 000 décès. Les personnes qui ont été hospitalisées en réanimation en ressortent avec une espérance de vie amputée, avec des séquelles, des mois et des mois de rééducation (avec ce que cela entraîne de carrières brisées) ; il y a des dizaines de milliers de COVID longs, de fibroses pulmonaires, de poumons abîmés pour toujours, de souffles à jamais courts. Dénoncer la gestion calamiteuse du gouvernement – je soutiens que le gouvernement n’a pas eu une seule mesure appropriée pour défendre la santé des français – ne doit pas mener à rejeter la protection de la santé. Autrement dit, l’opposition politique ne doit en aucun cas être bêtement systématique, auquel cas elle met en danger les citoyens qu’elle prétend défendre et se discrédite en tant qu’opposition.
Ce que j’essaie de dire ici est simple : le problème, lorsque l’on parle de « dictature sanitaire », ce n’est pas « sanitaire », mais « dictature ». Cette formule est néanmoins trompeuse. Tout d’abord, nous ne vivons pas en dictature. Un travail rigoureux sur les concepts s’impose pour ne pas dire n’importe quoi. J’ai appelé notre régime une « oligarchie autoritaire », en référence à Aristote, mais ce n’est pas une dictature. Le mot « sanitaire » est lui aussi une mascarade. Car la préoccupation du gouvernement n’est pas la santé des Français. Ce n’est pas parce qu’il emploie le mot que la chose s’en trouve réalisée : il ne suffit pas de dire que l’on protège la santé pour que ça soit le cas. Si la santé était vraiment la préoccupation de Macron, il n’aurait pas poursuivi la casse du système hospitalier, même en plein cœur de la pandémie, il n’aurait pas retardé au maximum le premier confinement après les élections municipales, il n’aurait pas non plus retardé le second confinement, ni le troisième, il n’aurait pas hâté le troisième déconfinement en réouvrant le pays au sommet de la vague, il n’aurait pas fait un « pari » à 110 000 morts, il n’aurait pas menti sur les masques, il n’aurait pas refusé toutes les mesures alternatives au confinement et au couvre-feu qui ont fait preuve d’efficacité, il n’aurait pas tenu de déclarations idiotes sur le vaccin russe, il n’aurait pas gardé les frontières ouvertes aux quatre vents des variants, il n’aurait pas refusé de protéger les populations de travailleurs vulnérables[4], il n’aurait pas dit tout et son contraire puis le contraire du contraire comme c’est le cas depuis plus d’un an[5]…
Par pitié arrêtons de croire que la santé soit devenue la préoccupation première de ce gouvernement.
Soyons clairs, je n’approuve que très partiellement et à défaut le passe sanitaire[6]. Car force est de constater que nous n’en serions pas là si Macron avait pris de bonnes décisions dès le début. Ce sont encore une fois les « simples citoyens » qui font les frais de son idéologique meurtrière.
L’urgence est de repenser la démocratie pour la construire – pas de laisser proliférer une épidémie. L’urgence est de refonder nos institutions – pas de refuser des vaccins. L’urgence est de bâtir enfin la République – pas de détruire des vies.
La République, la société socialiste, l’utopie ou quel que soit le nom que l’on donne au monde auquel on aspire, procèdera nécessairement à des restrictions de liberté. Car c’est le propre du politique et de tout corps social en général : l’existence de la société implique que les individus en rabattent sur leur liberté, qu’ils fassent certaines choses et ne fassent pas certaines autres. L’interdit comme l’obligation sont incontournables. En démocratie cependant, l’un comme l’autre procèdent de la délibération commune, en ce sens, ils sont des conditions de la liberté. C’est ce que résume la vieille formule de Rousseau : « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté »[7]. Or, le souci c’est précisément que les citoyens que nous sommes n’avons pas le pouvoir de prescrire la loi – à laquelle, pourtant, nous devons obéir. Alors oui, la vaccination la plus large possible est une mesure de santé publique. Il ne faut pas nier qu’une partie du problème actuel vient aussi du refus catégorique de certaines personnes de se faire vacciner. Cela pose une question épineuse : comment se fait-il que beaucoup (trop) de citoyens en viennent à lutter de toutes leurs forces contre les vaccins (en général, celui contre le COVID n’est qu’un prétexte bien souvent), c’est-à-dire des thérapeutiques sûres et efficaces pour le bien de la collectivité toute entière ?
Ceux qui croient s’opposer au gouvernement en s’opposant au vaccin, ceux qui se vivent comme des résistants (car c’est le vocabulaire malheureusement employé) se trompent. Ils font comme si le COVID n’était qu’une grippette, méprisent les morts et les malades. Mais la Résistance n’avait pas le culte de la mort, elle n’était pas indifférente face à la souffrance, ne cherchait pas à minimiser l’horreur. Au contraire : elle les affrontait de face, lucidement, pour les combattre. La Résistance savait que pour se battre et conquérir la liberté, il faut être vivant et fort – et ne se réjouissait pas d’aller à la mort, à la différence des terroristes actuels qui détestent la vie.
S’opposer à Macron et son gouvernement qui nous démolissent et démolissent la France implique que nous soyons nombreux et plein de vigueur. Soyons plus malins, plus intelligents que Macron et les siens, qui ne cherchent qu’à nous diviser, et ne jouons pas leur jeu. Retarder la sortie de la “crise” sanitaire, c’est asseoir un peu plus l’état d’urgence, c’est leur permettre de prendre des mesures d’exception, c’est pérenniser des restrictions qui nous empêchent de combattre ensemble.
Enfin, un dernier mot. S’opposer à la science et à la médecine – malgré tout ce que cette dernière a de tares, de vilenies et d’ignominies – ça n’est pas non plus s’opposer au (néo)libéralisme macronien. Au contraire. Qui a systématiquement rejeté les connaissances établies quant au SARS-CoV-2 ? Macron. Qui s’est enfermé dans un obscurantisme anti-scientifique ? Macron. Qui a fait un “pari” à 110 000 morts qui ne reposait sur aucun fait établi par la médecine ? Macron. Qui a contesté la transmission par aérosols, qui a fait en sorte que la France ne soit pas massivement équipée d’aérateurs ou de capteurs de CO2, qui a nié par obstination que les jeunes soient aussi vecteurs de la maladie, qui a rejeté toutes les mesures qui auraient permises d’alléger les restrictions sanitaires ? Macron. Qui a été aveugle à la montée du variant delta, prévue depuis des semaines ? Macron.
Allons plus loin : qui rejette systématiquement les appels des scientifiques pour la protection des écosystèmes ? Qui balaie toutes les conclusions des scientifiques sur le réchauffement climatique ? Macron, encore et toujours. Allons encore plus loin. Qui fait une confiance aveugle à la pseudo-science économique dominante ? Qui écarte toutes les sciences sociales ? Qui organise la destruction de l’enseignement des savoirs scientifiques ? Qui dépèce le CNRS et la recherche française ? Macron. Qui taxe les sociologues d’islamo-gauchistes ? Les nervis de la bande à Macron.
Etre anti-scientifique, c’est être dans le camp de Macron et des siens. Le (néo)libéralisme n’est pas scientifique, contrairement à ce que tout le monde répète. Nous ne sommes pas dans un monde scientiste, mais dans un monde d’irrationnalité pure, de pleins pouvoirs donnés à la déraison financière. Ceux qui se croient plus lucides que tout le monde en mettant systématiquement en doute les résultats scientifiques sont de la même trempe, du même sérail, du même troupeau moutonnier et bêlant que ceux à qui ils font la leçon. Le systématisme anti-scientifique n’est jamais qu’une forme parmi d’autre de la pensée dogmatique. La réalité est que nous avons plus que jamais besoin de science pour combattre les (néo)libéraux qui détruisent le monde. Face aux falsifications, aux mensonges, à l’idéologie de Macron, nos armes sont la connaissance, la vérité, la raison : la science.
Mais c’est assez. Car le plus important, ce 12 juillet 2021, ne fut pas l’instauration du Pass Sanitaire, pis-aller contre une situation sanitaire largement dépendante des mesures calamiteuses prises depuis plus d’un an. Le plus important avait été gardé pour la fin. La poursuite de la réforme de l’assurance chômage, qui va diminuer les droits de nombreux citoyens. La poursuite de la destruction du système de retraite. La poursuite de l’austérité. En bref : la poursuite de la politique (néo)libérale. Cela ne surprend bien entendu personne. Mais, plus que le passe sanitaire, ce sont ces mesures qui détruisent la socialité, qui attaquent les libertés publiques et, in fine, la République. Le passe sanitaire doit être interprété, comme nous le disions plus haut, comme un élément de cette politique néolibérale. Le philosophe Harold Bernat cerne parfaitement les choses lorsqu’il explique que le passe sanitaire à la Macron s’inscrit dans un mouvement plus large de contrôle de la société et des comportements individuels, et qu’il est en cela totalement cohérent avec les réformes annoncées. De contrôle, donc de formatage – car c’est cela qui est visé. Focaliser le débat sur le passe sanitaire en oubliant les réformes terribles annoncées par la suite, c’est en fait sacraliser la liberté individuelle au détriment de la liberté collective : ce qui est justement le coeur de la logique libérale. Alors qu’en réalité, il n’existe aucune liberté en dehors du collectif. Dans la société macronisée c’est « chacun son QR code, chacun ses points retraite […], chacun sa petite stratégie Parcoursup »[8] : atomisation, mise en concurrence, repli sur les seules préoccupations égotistes, contrôle social dans tous les domaines y compris : boire un verre, aller au ciné… Habituer les citoyens à « sortir couverts » : toujours son QR code sur soi, à chaque pas son laisser-passer, à chaque instant son attestation ; que rien n’échappe au regard scrutateur de l’Etat néolibéral[9]. Le rêve néolibéral : tout ce qui n’est pas autorisé est interdit.
Les critiques à adresser au Pass Sanitaire ne sont pas d’ordre sanitaire précisément, mais avant tout politiques. Et elles sont nombreuses. Néanmoins, toute la difficulté est de se tenir sur une ligne de crête. Car le combat politique pour une société plus juste et décente a pour principal objectif la vie, la “vie bonne” de tous les citoyens. La critique ne doit jamais le perdre de vue, aussi nécessaire soit-elle. En d’autres termes, il faut bien lutter contre Macron et contre le COVID – l’un ne doit pas effacer l’autre.
[1] René Chiche, La désinstruction nationale, Ovadia, 2019
[2] Le fait est qu’aujourd’hui les institutions publiques avancent le plus souvent contre leurs propres agents, elles sont des rouleaux compresseurs.
[3] Je me permets de renvoyer à mon ouvrage, qui décrit, entre autres, en détail, le devenir-marché du monde. Voir Geoffrey Mercier, Ce que le marché fait au monde, L’Harmattan, 2020.
[4] Voir, par exemple : https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/c-est-mon-boulot/c-est-mon-boulot-retour-au-travail-des-personnes-vulnerables-la-polemique-n-est-pas-eteinte_4083177.html
[5] La contradiction de Macron sur le passe sanitaire n’est qu’un exemple dans une longue liste. Comment s’imaginer qu’une population accepte sans broncher un ensemble de contraintes si on lui ment tout le temps, on l’infantilise, on ne cherche qu’à la duper ?
[6] L’imposer après avoir dit que c’était hors de question est inacceptable. L’imposer aux jeunes à partir de 11 ans (qui ont eu à préparer le brevet, le bac, les partiels etc. et à qui la vaccination n’a été ouverte que tardivement) est inacceptable. Encore une fois : impréparation et malhonnêteté sont de mise. Rendre la vaccination obligatoire pour tous aurait sans doute été 1/ plus simple, 2/ mois discriminant, 3/ moins intrusif.
[7] Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social.
[8] https://twitter.com/bernathoustra/status/1414931379960299522
[9] Cf : Geoffrey Mercier, Ce que le marché fait au monde, L’Harmattan, 2020, Dixième chapitre, « Tératologie libérale » sur le contrôle généralisé, Troisième chapitre, « Le libéralisme et ses avatars », sur la logique néolibérale.
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