Ni droite ni gauche : le libéralisme En Marche !

Cette campagne présidentielle n’est décidément pas tout-à-fait comme les autres. Un candidat en particulier a beaucoup fait parler de lui, et continue à faire parler de lui, d’autant qu’il vient de se qualifier pour le second tour de l’élection. Un candidat qui a « brouillé les cartes » comme on dit, qui a beaucoup désarçonné les commentateurs par son positionnement politique. Mais cessons de faire durer un suspense que je devine intolérable (j’imagine ici le lecteur en sueur, tremblant d’excitation et de frustration mêlées, peut-être même au bord du malaise…). Il est bien entendu question d’Emmanuel Macron.

Présentée comme « ni de droite ni de gauche », « dépassant les clivages », « voulant rassembler les français », « résoudre les contraires » etc., les commentaires n’ont pas manqués pour louer cette démarche, ou la condamner, mais dans tous les cas la tenir pour étonnante voire exceptionnelle. Tout le monde est un peu perdu… Des soutiens allant de Robert Hue à Jacques Attali en passant par l’inénarrable B.H.L ou plus généralement tout ce que le paysage médiatique français compte de girouettes de droite comme de gauche (donner les noms serait un peu cruel…), des milliardaires en veux-tu en voilà (non, ça ira merci…), des économiste à l’image d’Elie Cohen, la quasi-totalité de la presse « généraliste »… Bref.

C’est justement sur cette idée du « ni de droite di de gauche » que je voudrais revenir dans cet article.

« Il est passé par ici, il repassera par là… »

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Ceci est un furet

En apparence, il semble bien qu’Emmanuel Macron ait tout pour aller au-delà du vieux clivage français. De droite économiquement, mais de gauche sur le plan sociétal, dit-on. Il dépasse les partis traditionnels, rajoute-t-on en référence à son mouvement En Marche ! et ses partisans venus de tous horizons. Il incarne le renouveau politique, poursuit-on cette fois eut égard à son âge et sa supposée « fraîcheur » (un désodorisant n’aurait pas une meilleure pub… !). Et de gloser et d’entre gloser…

Mais il faut prendre Emmanuel Macron au sérieux, et essayer de dégager une cohérence dans son programme, malgré les imprécisions quasi constantes voire les contradictions flagrantes qu’il contient. Les catégories de droite et de gauche sont inappropriées pour comprendre ce qu’est vraiment ce programme, et d’elles viennent beaucoup de malentendus à son sujet. Malentendus, il faut le dire, largement entretenus par le candidat lui-même et ses propres propos. Une posture payante d’ailleurs puisque beaucoup s’y sont laissé prendre. Et pourtant, Macron propose bien une cohérence de fond qui dépasse effectivement le clivage gauche-droite. Emmanuel Macron, c’est un libéralisme intégral.

Car il faut bien comprendre que le libéralisme n’est pas simplement une doctrine économique, c’est aussi un projet de civilisation, un ensemble de normes, de valeurs, d’idées… Bref, une vision du monde. Il faut pour le comprendre connaître un minimum son histoire, et celle de ses « Grands Ancêtres ». Ce qui n’est pas le cas de tous ceux qui s’en réclame d’ailleurs, loin s’en faut. Concernant l’économie, on le sait, le libéralisme prône un Etat minimal, et une autonomie des marchés censés être autorégulateurs, justement redistributifs, responsables, rationnels, parfaits, merveilleux, formidables. Il défend le libre-échange, la liberté d’entreprise, la « valeur travail », l’idéal du self-made-man, la mobilité sociale etc. Mais le libéralisme propose en outre une vision de la société multiculturelle, ouverte sur le monde notamment grâce aux technologies de l’information et de la communication, protectrice des libertés individuelles, « progressiste » etc. Or, ces deux approches sont parfaitement cohérentes l’une avec l’autre et s’inscrivent dans un même mouvement. C’est en tenant les deux bouts du libéralisme que l’on peut comprendre le projet d’Emmanuel Macron.

Le libéralisme économique, en bref

Sur le plan économique, la question sera vite pliée, le candidat souhaite désengager l’état sur tout un ensemble de sujets : culture, école, santé, vie des entreprises par exemple.

De même, il développe une rhétorique qui emprunte très largement le vocabulaire libéral. Il pense les services publics comme autant d’entreprises privées : « récompenser la performance » des fonctionnaires, obligation pour les services publics « d’afficher leurs résultats en terme de qualité de service », ou encore « renforcer et encourager l’autonomie » des établissements scolaires ; loue la mobilité sociale, la liberté entrepreneuriale, la possibilité de réussir mais aussi d’échouer, la « flexibilité », il parle de « charges » et jamais de « cotisations » sociales ; il reprend les poncifs de la pensée libérale sur le fait par exemple de « ne pas faire fuir les investisseurs » etc… Une phrase de son programme illustre tout cela à merveille : « je veux recréer une mobilité économique et sociale par le numérique, la recherche et l’innovation, le travail et l’entrepreneuriat ». Pour terminer sur le sujet, Emmanuel Macron est celui qui a dit en 2015 « il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires ».  Ite missa est.

Il développe une politique de relance par l’offre inspirée par l’idéologie libérale dominante de Milton Friedman (mise en œuvre auparavant par l’Allemagne entre autre). Il assume également un positionnement globalement très en faveur des entreprises et des plus riches : allègement massif des « charges » des entreprises ; bouclier fiscal à 30% tout compris pour les revenus du capital, baisse de l’impôt sur la fortune, hausse de 1,7% de la CSG qui impactera massivement les classes moyennes (les plus riches bénéficiant du bouclier mentionné à l’instant)…

Bien sûr, Emmanuel Macron n’est pas partisan de la disparition de l’Etat, et pour deux raisons essentielles. La première, c’est que le peuple français est très attaché à l’Etat protecteur, paternaliste, qui garantit la sécurité sociale et protège les plus faibles. Ce serait donc un très mauvais calcul politique d’aller contre ça. La seconde raison est plus profonde. Il se trouve que le libéralisme ne prône pas la disparition de l’état, mais son maintien minimal dans des secteurs très particuliers : sécurité, armée, justice, protection des enfants, et gestion des « externalités négatives » comme on dit dans le jargon économique, c’est-à-dire les dommages collatéraux de la production ou de la consommation (par exemple, la pollution).

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Milton Friedman (prix Nobel d’économie 1976)

Cette vision du rôle de l’Etat minimal a historiquement assez peu variée, puisqu’on la retrouvait déjà chez John Stuart Mill au XIXème, penseur de la doctrine « classique » du libéralisme. Pour Milton Friedman, l’un des plus grands économistes libéraux du XXème siècle au tournant du « néo-libéralisme », cette idée reste d’actualité, car il faut que les « dépenses publiques, toutes collectivités confondues, ne dépassent pas 10 à 15 % du produit national » (même si, soit dit en passant, il soutenait aussi la création de bourses d’études données par l’Etat aux plus pauvres). Bien sûr, le programme d’En Marche ! en est très loin, cependant, il s’inscrit dans cette démarche puisque le cadrage économique prévoit en fin de mandat de réduire de 60 milliards d’euros par ans les dépenses publiques.

Mais n’insistons pas trop sur ce point : l’orientation économique pro-libérale d’Emmanuel Macron n’est un secret pour personne.

A ce propos, François Fillon était probablement plus libéral économiquement qu’Emmanuel Macron, cependant il n’assumait pas l’autre versant de l’idéologie libérale, qui lui donne toute sa cohérence. Monsieur Macron, si. Il réussit la parfaite synthèse.

La vision libérale du monde, en moins bref

En revanche, il est plus intéressant de remarquer que sur les sujets sociétaux et internationaux, l’orientation idéologique adoptée par En Marche ! est aussi celle du libéralisme. Cela est visible dans une politique sociétale « progressiste » qui donne l’impression d’être inspirée par la gauche, une inspiration très pro-européenne, anti-souverainiste et multi culturaliste avec en creux une remise en question des nations telles qu’elles existent. Emmanuel Macron est le candidat de la mondialisation. Voyons à présent l’articulation de ces grandes orientations politiques, et leur intégration dans la vision libérale du monde.

S’il insiste sur la liberté d’entreprise, le libéralisme est par ailleurs opposé à l’idée de conservatisme sur le plan des mœurs. L’idéal de cette idéologie est la mobilité, dans tous les domaines, et la libre détermination des citoyens. Le souverain bien est la liberté individuelle. Ainsi, il n’est pas étonnant qu’historiquement, des libéraux anglo-saxons tels que Jeremy Bentham ou John Stuart Mill aient pris des positions que l’on qualifierait aujourd’hui de « progressistes » : en faveur des femmes, du droit des animaux, des homosexuels par exemple. En effet, l’Etat n’est, selon eux, pas habilité à régir les comportements individuels. Dans la droite ligne de leurs illustres ancêtres, nombres de tenants du libéralisme sont des défenseurs de ce que l’on pourrait appeler un progrès sociétal. Il y a une cohérence de fond avec le pendant économique du libéralisme, car la liberté (ou du moins une certaine conception de la liberté) est primordiale là comme ailleurs. Il faut donc chercher à la maximiser en s’émancipant des contrôles étatiques.

Au-delà de ça, le libéralisme est une idéologie qui a une vocation universelle et internationale. Pour plusieurs raisons. La raison cynique d’abord : il s’agit assez bêtement de créer un monde de 7 milliards de consommateurs et faire de la Terre un marché unique. La raison philosophique ensuite : parce qu’il est historiquement lié à l’émergence des démocraties occidentales tout d’abord. En effet, le projet libéral, c’est celui des Lumières, de Rousseau à Adam Smith. Or, cet idéal est universel. De plus, les Lumières sont à l’origine du concept de « droit international » (Kant et Montesquieu par exemple) et amorcent les premières critiques des Etats-nations au profit du concept (particulièrement creux) de « citoyens du monde ». Et l’explication philosophique joue comme un formidable alibi à l’explication cynique : si le libéralisme, c’est la promotion de la liberté, il est injuste de ne pas en faire profiter l’humanité toute entière. C’est la promesse humaniste, et cynique au carré il est vraie, dont se pare le libéralisme. S’imposer par la bienveillance : personne ne peut être contre la volonté de promouvoir partout la liberté ! Sophisme, certes, syllogisme oiseux, bien évidemment. Mais efficace.

Le libéralisme actuel a largement repris les idées de ses Grands Ancêtres des Lumières. Il a permis (pour le meilleur tout d’abord) l’émergence d’un droit international, vite transformé en droit d’ingérence ; il s’appuie sur des instances internationales comme l’Organisation Mondiale du Commerce, le Fond Monétaire International etc. ; et met en place des structures supranationales : traités de libre-échange et zones économiques (CETA, ALENA etc.), Union Européenne… Tous instruments au service de sa diffusion sur la Terre entière. Un mot pour dire que la politique d’En Marche ! propose plus d’intégration européenne à travers par exemple l’Europe de la Défense et un gouvernement économique de la zone Euro.

Aujourd’hui, le libéralisme a ses défenseurs, dans les médias, les écoles, les universités, les parlements, à l’OMC… Il défend ses intérêts, ceux d’une minorité, qui concentre la quasi-totalité des richesses, donc des pouvoirs.

L’expansion mondiale du modèle libéral a un nom : la mondialisation. Pour s’imposer, elle repose sur une double logique, s’appuie sur une double légitimité : économique tout d’abord, puisque présentée comme le seul modèle valable, créateur de richesses etc., et morale dans le même temps, car comme on l’a dit, elle se présente comme le seul véhicule de la démocratie. Ici, il devient évident que la démocratie, si elle a effectivement été un apport irremplaçable de la pensée libérale, est en quelque sorte son « cheval de Troie ». Ce n’est qu’une étape dans la progression mondiale du libéralisme. Le mouvement auquel on assiste aujourd’hui, tout particulièrement en France, illustre la dialectique à l’œuvre dans la mondialisation. La démocratie est une étape nécessaire au triomphe libéral, mais maintenant que ce triomphe est une réalité qui n’a plus grand-chose à craindre, la démocratie devient superflue, et même, elle devient un obstacle à la maximalisation des profits des grands libéraux. En effet la démocratie suppose l’éducation des citoyens, la liberté de la presse, la liberté d’expression, la recherche du bien commun… bref : des contre-pouvoirs. Mais dès lors que le libéralisme suppose le devenir « consommateur » des individus, il s’oppose à leur devenir « citoyen ». Il se retourne donc contre cela même qui lui a assuré son emprise sur le monde. Pas frontalement, non, surtout pas, mais doucement, sournoisement. Une colonisation souriante en quelque sorte. La stratégie est donc de s’imposer par l’idéologie plutôt que par la force : publicité, création de désirs nouveaux, promesses de facilitation du quotidien, idéal de mobilité, de communication… Dans cette perspective, le libéralisme actuel a un autre adversaire, qui n’est qu’une variante du premier (la démocratie) : c’est le peuple. Le peuple en tant que défenseur d’une culture propre, de valeurs singulières et d’intérêts spécifiques, qui, de la même manière que la démocratie, vont à l’encontre de la volonté de profits maximum : ces valeurs populaires anciennes font concurrence à celles du libéralisme et pourraient en être un frein. Cela n’est pas étonnant car la démocratie, et l’étymologie nous renseigne à ce sujet, suppose l’existence du peuple.

Je souhaiterai revenir sur une phrase qui renseigne sur le fond idéologique du candidat marcheur. « Il n’y a pas de culture française, il y a une culture en France, et elle est diverse » disait-il en meeting à Lyon. Ce n’est pas une erreur, une maladresse, ou une anecdote. Non. Cette phrase résume la pensée libérale, de manière lapidaire mais avec une précision chirurgicale. Je n’en ferai pas ici l’exégèse complète, je me contenterai de l’idée principale. Pour Emmanuel Macron, et pour le libéralisme, comme on l’a vu plus haut, le peuple est un ennemi qu’il s’agit dès lors de faire disparaître. Cette phrase signifie que le peuple n’a pas de culture propre et réciproquement, que la culture n’est pas un produit du peuple. Elle est en quelque sorte en lévitation, définie uniquement par sa géographie, pas par son histoire, encore moins pas le peuple qui l’incarne. Bref, la culture est sans fondement. De plus, elle est « diverse » (si quelqu’un comprend cela, qu’il me l’explique…), ce qui veut dire, si l’on traduit, qu’elle n’a pas d’unité, pas de constance historique, uniquement le fruit d’apports successifs, apports de la « diversité » pour employer un mot politiquement correct à la mode. Bref, la culture est sans contenu. Sans fondement, sans contenu, elle n’est plus rien. Il n’existe que des flux, de reflux, des mouvements, des mobilités, des réseaux, de la communication… tout cela sans but. Ainsi peut s’imposer la domination libérale, ainsi les citoyens sont peu à peu réduits à des consommateurs.

Je finirai par une autre citation extraite du programme : « les six chantiers de ce contrat permettront de construire une société de mobilité plutôt que de statuts ». Pas grand-chose à rajouter, l’opposition que nous analysions plus haut est ici manifeste.

L’utopie libérale

Je terminerai en disant que quoique l’on dise, le libéralisme, n’est pas un modèle bâti sur un constat pragmatique, empirique, sérieux et étayé. Le libéralisme est une utopie. Une utopie optimiste qui plus est. Utopie de la main invisible que régulerait les marchés pour le mieux ; utopie de la répartition des richesses qui veut que l’accroissement des richesses d’une nation entraîne de facto l’accroissement des richesses de tous ses membres ; utopie des bienfaits de la libre concurrence comme régulateur et outil de lutte conte les rentes ; utopie de la prétendue « science économique » qui n’a rien d’une science mais relève de l’art divinatoire, des haruspices qui font de la macro ou microéconomie dans des entrailles de poulet ; utopie des « vices privés » qui font des « vertus publiques » selon Bernard de Mandeville ; utopie de l’ouverture, du multiculturalisme … En lieu et place de ces utopies le monde réel nous montre : la loi de la jungle et du moins-disant ; l’accroissement inexorable des inégalités ; la constitution de monopoles et de grands groupes industriels unis pour maximiser leurs profits au détriment de tout le reste ; des faux économistes mais vrais idéologues ; des vices publics présentés comme un moindre mal ; un monde ouvert mais vide et sans âme…

Cette utopie propose la création d’un homme nouveau, l’homo oeconomicus, elle promeut un monde nouveau, mondialisé, globalisé, post-national, elle appelle de ses vœux un peuple nouveau, unique, planétaire, multiculturel donc aculturel (permettez le néologisme), elle instaure un régime politique nouveau, un gouvernement mondial. C’est le nouveau totalitarisme.


Conclusion

Cet article vous semblera sans doute très dur envers Emmanuel Macron, voire à charge ou malveillant. Ca n’était pas l’intention.

L’objectif était de présenter la logique du système libéral, sa cohérence historique et idéologique. Parler du candidat finaliste des élections présidentielles était un prétexte pour montrer comment cette cohérence s’incarne aujourd’hui au-travers des programmes et des hommes politiques. Bien sûr, Emmanuel Macron n’est pas un tyran souhaitant instaurer un totalitarisme en lieu et place de la République Française. Non, mille fois non. En revanche, il est important de comprendre les enjeux profonds du système qu’il défend.

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