Nécessaire souveraineté
Coralie Delaume
Editions Michalon, 2021
Coralie Delaume nous manque. Décédée le 15 décembre 2020, à 44 ans, fauchée par la maladie, elle était l’une des meilleures spécialistes française de l’Union Européenne, ainsi que l’une de ses plus farouches critiques. Elle élaborait depuis des années sur son blog, à travers ses livres, dans ses conférences et interviews, une des plus intéressantes pensées souverainistes de gauche, fidèle jusqu’à sa tragique et prématurée fin, à son engagement socialiste. Sans concession, opiniâtre, d’une honnêteté intellectuelle à toute épreuve, Coralie Delaume décortiquait les traités, elle mettait en perspective les décrets et les jurisprudences, elle disséquait le fonctionnement, parfois occulte, des instances européennes. Au-delà de cela, elle pensait les institutions et la démocratie, son apport intellectuel à la réflexion souverainiste était inestimable. Nécessaire souveraineté est le dernier fruit de son engagement pour la démocratie et la France.
Nécessaire souveraineté est un essai très court, à peine augmenté par la belle préface de Natacha Polony et la postface en forme d’hommage d’Yves Michalon. Un texte très court, certes, mais d’une grande densité. Sec, à l’os, sans fioriture. Chaque phrase porte une idée majeure, que l’on pourrait longuement développer. Style incisif, un modèle de clarté et de précision, pas un seul mot à retrancher. Peut-être une sorte d’urgence animait-elle ce texte, dont l’écriture témoigne d’un esprit à la rigueur exacerbée. Nécessaire souveraineté est la profession de foi souverainiste derrière laquelle nous pourrons nous rassembler. Plus qu’un testament, au-delà d’un héritage intellectuel, mieux que des mémoires, Coralie Delaume nous a fait le plus beau legs : un étendard.
« La souveraineté, constate Delaume, est désormais partout » (p.16) : dans les discours du président Macron, à gauche, à droite et surtout chez ceux qui ne cessaient de la conspuer… Après les Gilets jaunes et la crise du coronavirus, on ne peut plus penser la mondialisation dans les mêmes termes qu’auparavant. Entre les revendications sociales des Gilets jaunes, qui ont vite compris qu’il y avait un lien entre leurs conditions de vies dégradées et l’Union européenne, chantre de l’austérité et de la mondialisation néolibérale ; et le surgissement de notre vulnérabilité et de notre incapacité à répondre à la crise sanitaire, l’agenda politique est désormais accaparé par une nouvelle question : « celle de la « souveraineté nationate » » (p.24). Coralie Delaume articule finement la crise sociale et la crise sanitaire, pour montrer qu’elles témoignent, chacune à sa façon, d’une facette de la souveraineté, qui est bifide. « Souveraineté nationale d’une part, souveraineté populaire de l’autre. Comment les articuler ? L’une et l’autre sont l’avers et le revers d’une même médaille. » (p.24) Autrement dit, le peuple a besoin de la nation pour être pleinement souverain : « il ne peut y avoir de souveraineté populaire dans nation souveraine pour être le lieu de son expression » (p.25). Cette idée est une cruciale dans l’élaboration d’une souveraineté pleine et entière. Bien plus, Coralie Delaume permet de sortir du faux dilemme habituel : défense du peuple contre défense de la nation. Ni populisme, ni nationalisme : une véritable souveraineté républicaine.
Une fois posées les bases théoriques de la souveraineté, Delaume se demande « d’où vient que la souveraineté nationale – donc la souveraineté populaire – se soit atrophiée ? » (p.27) C’est alors que, pour répondre à la question, elle pointe l’Union Européenne, qui est, en France tout particulièrement, la principale source de destruction de la souveraineté, sous ses deux formes. Avec l’Acte unique de 1986, l’UE n’a fait qu’approfondir les fondations théoriques sur lesquelles elle était bâtie : le néolibéralisme. Nécessaire souveraineté rappelle que l’Union Européenne dispose de tout un arsenal institutionnel et juridique pour imposer sa volonté au peuple – avec le concours servile et zélé des dirigeants nationaux, il ne faut jamais le négliger. Cette technostructure, ce mastodonte administratif ne fait pas de « politique » au sens classique du terme, elle émet des décrets à tout va, réglemente, légifère, et pourtant, elle ne prend ses ordres que d’elle-même, sans aucune référence à un quelconque « souverain » (que ce soit le peuple, un roi, une Parlement élu etc.). « On assiste donc à cet étrange paradoxe que constitue le retour du volontarisme sans retour du politique. » (p.39)
Pour dénouer le paradoxe, l’essayiste remonte un cran au-dessus : le rôle prépondérant du marché. C’est alors le fond de la doctrine néolibérale qui est mis au jour : « le principe organisateur d’une société doit être le marché, nouvelle modalité de la Providence, et en son sein la concurrence, sorte de pilote automatique » (p.47). Le rôle des Etats, mais surtout des administrations européennes, les « indépendantes » comme es appelle Coralie Delaume (dont la Banque Centrale Européenne) est de tout faire pour créer les conditions de la libre concurrence, de la plus grande fluidité et de lever tous les obstacles à l’extension du marché. En effet, puisqu’il n’a pas à s’encombrer des pesanteurs de l’Etat, de politique, de valeurs, de morale, de politique, puisqu’il est neutre, le marché est la véritable source d’enrichissement et d’émancipation. Ainsi, on voit où la souveraineté a en réalité été transférée : dans les lois du marché. C’est lui qui commande, les technocrates n’ont qu’à mettre en place les normes, pléthoriques et délirantes, que son fonctionnement optimal requiert. En quelques pages, Nécessaire souveraineté récapitule les grandes étapes de l’élaboration théorique et pratique du néolibéralisme, sans quoi on ne peut rien comprendre à l’Union Européenne, donc à la France.
Enfin, Coralie Delaume montre que la grande « dilution des nations dans le marché » (p64) provoque, en retour, des réactions populaires : identitarisme et populisme. Mais on aurait tort de croire que le populisme d’un Trump par exemple, serait une volonté de sortir, un tant soit peu, de la mondialisation néolibérale. Ce ne sont pas des remèdes. A rebours de beaucoup de commentateurs, elle met en garde contre, non pas un recul de la mondialisation, mais une intensification de celle-ci, ou plutôt contre une nouvelle mutation du néolibéralisme. Entre les répressions policières inédites contre les Gilets jaunes ou autres mouvements sociaux, et la Banque Centrale Européenne qui refinance les marchés en cas de crise, « si l’on entrait au contraire dans une phase de radicalisation autoritaire du néolibéralisme, dans laquelle l’Etat ne serait plus seulement l’opérateur de la concurrence chargé d’organiser juridiquement son fonctionnement optimal, mais également le censeur chargé de réprimer la contestation d’une part, et l’assureur du marché d’autre part, son « prêteur en dernier ressort » ? » (p.77) Phrase terrible, mais d’une grande puissance analytique. Nous sommes bel et bien entrés dans ce monde-là, celui où la « radicalisation » n’est pas celle que l’on croit. Un monde dans lequel, pour lutter contre des extrémistes – car Macron en est un – seules les solutions extrêmes prévaudront, en une montée funeste dans la violence.
Nécessaire souveraineté est, on l’a dit, un texte d’une remarquable concision. Un bréviaire souverainiste qui permet de structurer une pensée résolument sociale, populaire et souverainiste. Décidément, oui, Coralie Delaume nous manque. Bonne lecture.
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