Meurtre à l’hôpital
Quand le gouvernement tue la médecine publique
Retour sur un mouvement social inédit
La colère des soignants, le mépris du gouvernement
L’hôpital public est en crise. Pire, tout le secteur de la santé est en crise. Et ce, depuis près de quinze ans. Une crise qui s’accentue d’année en année. Le plus dramatique dans tout ça est que la crise – ou la catastrophe, ou l’effondrement, appelez cela comme vous le voulez – était prévisible et prévue de longue date. On voit s’écrouler notre système de santé, brique par brique, puis par pans entiers, on le voit se faire détruire à la masse par des fous rigolards aux regards de déments, on anticipe les conséquences néfastes de chacune de leurs « réformes », on prévoit la mort de la médecine publique en France, on l’annonce avec une régularité et une prescience à l’exactitude métronomique. Pourtant, nous en sommes arrivés au point où des soignants se suicident à tour de bras[1], où le burn-out est un état second pour tout médecin[2], où de plus en plus de français n’ont plus les moyens d’accéder à certaines prestations de santé pour des raisons financières ou d’accessibilité… Face à cela, depuis mars 2019, des dizaines et des dizaines de services d’Urgences sont en grève partout en France – ils sont aujourd’hui 267 selon le dernier recensement du collectif Inter Urgences. Une mobilisation sans précédent qui a fait tache d’huile, qui concerne des soignants de tous bords : médecins, infirmièr(e)s et aides-soignant(e)s, techniciens de laboratoire, manipulateurs radio, brancardiers, ambulanciers… La gronde est générale et a pris une ampleur inédite, rejointe non seulement par les principales centrales syndicales de chaque corps, mais aussi par des collectifs ad hoc… Même le principal syndicat des internes, pourtant pas rapide à l’allumage, a pris part au mouvement. Plus surprenant, des médecins, oui, des médecins[3], et parmi les plus éminents, s’associent à la mobilisation. A Toulouse, tous les chefs de service de l’Hôpital des enfants ont démissionné de leurs fonctions administratives. Le 14 janvier 2020, plus de 1000 praticiens hospitaliers, dont 600 chefs de service, présentèrent une démission collective à la Ministre de la Santé. Des forces se sont mises en branle, et tout indique qu’elles ne s’apaiseront pas à la première annonce foireuse ni au premier élément de langage ni encore moins à la première promesse mensongère venus.
Contre-offensive. En fin d’été, la Ministre de la Santé avait annoncé un “Pacte de refondation des urgences” de 750 millions d’euros supplémentaires sur 4 ans – mais sans lits ni personnels supplémentaires. Des clopinettes. Il fallut se retenir de rire lorsque la Ministre promit de généraliser des filières d’admissions directes en hospitalisation pour les patients âgés sans devoir passer par les urgences. La pauvre simplette avait oublié que si les urgences sont saturées, c’est justement qu’il y a pénurie de lits d’hospitalisation… En revanche tout humour avait disparu lorsque la même assura qu’elle avait trouvé la solution aux problèmes des urgences engorgées : un nouveau numéro, un nouveau site internet et une « appli » ! Le “SAS” pour Service d’accès aux soins. Le tout pour 340 millions sur les 750 mis sur la table… On y trouvait en outre des mesures aussi concrètes que radicales : “Fluidifier l’aval des urgences grâce à l’engagement de tous en faveur de l’accueil des hospitalisations non programmées”. On sent que le stagiaire en chargé de com’ a bossé toute la nuit pour pondre une formule aussi vide… La bêtise crasse de la pauvrette ne suffit alors plus à justifier son mépris. Les scélérats du gouvernement avaient sans doute cru qu’une broutille et une entourloupe allaient régler l’affaire vite fait bien fait et qu’ils allaient s’en sortir avec les honneurs. Que nenni. Non seulement la mobilisation ne mollit pas, mais elle s’endurcit.
En novembre, rebelote. La Ministre, plusieurs fois malmenée alors qu’elle était allé visiter ses anciens « collègues », annonça, mais d’un sourire moins franc, un « Plan pour l’hôpital ». Cette fois, on n’y allait pas avec le dos de la cuillère : 1,5 milliards sur 3 ans ! En sus : 10 milliards de la dette des hôpitaux repris par l’Etat sur 3 ans – alors que l’Etat emprunte sur les marchés à des taux négatifs, rendez-vous compte : l’Etat aurait pu reprendre l’intégralité de la dette des hôpitaux et en plus gagner de l’argent ! Elle annonça, pour couronner le tout, des primes distribuées à tire-larigot : 80 euros mensuels de plus pour les infirmières qui accepteraient de se former et d’accomplir des missions auparavant dévolues aux médecins afin de dégager du temps médical, 100 euros pour les aides-soignants en gériatrie… C’était sûr, cette fois, les gueux allaient flancher. Caramba, encore râté ! Le mouvement s’est depuis amplifié avec la démission collective dont nous avons parlé.
Le Premier Ministre monta au créneau. L’Homme Invisible assura, à la radio : « je veux sauver l’hôpital public »[4]. Il fait bien de le dire, le bonhomme, car ça saute pas aux yeux… Peu après, ce fut le tour de la Ministre du Travail d’émouvoir, toujours à la radio, le pays tout en entier : « Alors je crois que ce qu’il faut voir, c’est qu’on est tous d’accord que l’hôpital public, c’est très important, c’est un bien commun et que depuis longtemps il souffre. »[5] Le tout dans un français impeccable digne de la meilleure copie d’une classe de CP. C’est beau comme du Christine Angot. Puis, vint le Ministre de l’action et des comptes publics, le Playmobil du gouvernement : « nous sommes en train de réparer le pays, et le président de la République fait, à l’hôpital public, ce qu’il a fait à la SNCF »[6] – c’est-à-dire privatiser ? On est bien barré, avec de tels branquignoles… Malgré tout le cortège des ministres qui défilaient – on se serait cru au Manège Enchanté, ou à la parade de DisneyLand – d’autres cortèges continuaient de défiler, mais dans la rue.
Les lois scélérates
Car cela fait des années que les professionnels entendent le même boniment, ils ne prêtent même plus attention à ces camelots du vide, ils ont bien compris. Ce gouvernement illégitime, comme ses prédécesseurs, détruit les services publics, sacrifie la République et exécute son peuple. Le but est simple : soumettre tous les services publics à la concurrence, telle est bien la suprême ambition du néolibéralisme qui a la mainmise sur les Etats. C’est le projet explicite de l’Union Européenne imposé, avec la gourmande complicité de leurs dirigeants nationaux, aux Etats. Déjà, le secteur privé se frotte les mains, comme c’est le cas en psychiatrie, où « la part du privé dans l’équipement en lits de psychiatrie a nettement augmenté en 40 ans. Elle représentait 11% du total des lits en 1975, […] un peu plus de 24 % en 2016 »[7] d’après un rapport de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales). Pour le secteur hospitalier en général, le nombre de lits a diminué drastiquement en hospitalisation complète entre 2002 et 2017 dans le secteur public et privé à but non lucratif (« semi-public »), alors qu’il a augmenté dans le secteur privé à but lucratif ![8] L’un des signes les plus effrayants des temps à venir : le rachat d’un hôpital public par un groupe privé[9]. Voilà se profiler le destin funeste de l’hôpital public, pourtant bâti grâce à l’investissement de tous des français.
« Comment détruire l’hôpital public ? » vous demandez-vous. Eh, morbleu ! le plus simplement du monde ! Gardez bien à l’esprit cependant que chaque élément est imbriqué avec tous les autres et qu’il existe un réseau causal complexe. On ne peut isoler une cause, la pointer du doigt et croire que d’elle découle toutes les difficultés du système de santé. Ces causes sont financières avant tout, organisationnelles également – il ne faut pas le nier – mais déconnecter l’organisation de l’hôpital de ses moyens de financements n’a juste aucun sens. De même, l’accessibilité de la santé, thème majeur, ne se pense point hors du contexte des politiques globales d’aménagement du territoire. Tout est intriqué.
L’objectif national des dépenses d’assurance maladie
Tout d’abord, toute une série de réformes « structurelles » a été entreprise pour transformer en profondeur l’hôpital public. En faire une liste exhaustive serait fastidieux autant qu’inutile. Je me contenterai d’un portrait impressionniste des lois scélérates qui ont peu à peu massacré l’hôpital et les soignants. On pourrait peut-être commencer par la création de l’ONDAM (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie) en 1996 sous le gouvernement Juppé. Les choses sont simples : l’ONDAM fixe le montant annuel des dépenses que l’Etat engagera dans le cadre de l’Assurance Maladie (le montant des remboursements). En clair, l’Etat décide pour l’année suivante du montant qu’il ne faudra pas dépasser concernant l’hôpital, les soins de ville et les dépenses médico-sociales. Un moyen formidable pour décider à l’avance, et selon des critères essentiellement comptables, des budgets à mettre sur la table, et de les réguler en fonction des objectifs de dépenses, de réduction des dettes ou de toute autre préoccupation du même acabit. Or, les dépenses nécessaires s’accroissent d’année en année : vieillissement des populations qui requièrent de plus en plus de soins, thérapeutiques de plus en plus coûteuses, développement des maladies chroniques… On estime la hausse des besoins à environ 4% par an. Eh bien quoi de plus facile, comme le fait le gouvernement, que de décider que l’ONDAM (les espèces sonnantes et trébuchantes accordées à l’Assurance Maladie), elle, n’augmentera que de 2% ! Car, avouez-le, dans les conditions d’endettement qui sont les nôtres, il faut bien se serrer la ceinture et gérer les finances publiques « en bon père de famille » ! Non ?[10] Ce qui crée une situation absurde : chaque année, on donne moins à l’hôpital que ce dont il a besoin, en toute connaissance de cause. Des milliards et des milliards manquent pour assurer des soins qui, eux, ne peuvent être différés ni négligés, car, en fin de compte, les soignants soignent. Ils font donc toujours plus avec toujours moins. Ils se tuent à la tâche pour que les gens bénéficient du meilleur soin possible, quitte à se sacrifier eux-mêmes. Mais qui soigne les soignants ? Certainement pas la Ministre de la Santé qui a consenti, dans son extrême générosité, à augmenter l’ONDAM de 2,1% à 2,4% de hausse alors qu’il en faudrait 4,4%[11]. Qui a dit foutage de gueule ? Ainsi, quand le Premier Ministre, aussi charismatique qu’un torchon sale, et tout aussi poisseux de mépris et de mensonge, se réjouit de « redonner des marges de manœuvre » à l’hôpital, ce qu’il veut dire, c’est qu’il se réjouit d’en prolonger l’agonie en le laissant crever plus lentement que prévu.
La tarification à l’activité
On pourrait parler aussi de la Tarification A l’Activité, ou T2A, instaurée lors du plan « Hôpital 2007 » en 2003 et généralisé en 2008. C’est la cheville ouvrière de la « Nouvelle gouvernance hospitalière » mise en place au début des années 2000 et marquant la mutation néolibérale de la santé publique en France. Un chant du cygne, un glas, un râle… Explication. Chaque « séjour » à l’hôpital est identifié par un code numérique en fonction de la pathologie, des actes pratiqués, des complications éventuelles, des traitements etc. A partir de ce codage, une certaine valeur financière est accordée à l’hôpital, le « coût » du séjour si vous voulez. Il devient dès lors primordial, pour que tel hôpital reçoive le plus budget possible, de coder à la perfection chaque séjour, mais aussi de sélectionner au mieux les malades les plus « rentables », de pratiquer les actes les mieux côtés, de « gruger » en sur-hospitalisant ou au contraire en diminuant la durée de tel ou tel séjour… La logique financière dans son plus simple appareil, désormais, la médecine, la santé et le soin ne sont qu’un moyen en vue d’une fin économique. En effet, « le prix de chaque activité est fixé chaque année par le ministre chargé de la santé »[12]. L’Etat peut donc, à loisir et selon les caprices budgétaires du moment, faire varier à l’envi la valeur de tel séjour, et donc orienter indirectement les prises en charges médicales (par exemple vers le tout ambulatoire)… D’autant que la tendance, ces dernières années, est bel et bien de diminuer les tarifs de la T2A. On voit comment le mode de financement détermine activement l’organisation de l’hôpital et du soin. La Ministre a eu beau jeu, récemment, de pérorer sur la hausse « inédite » des tarifs de la T2A[13]. C’est que, simplette, le nombre d’acte a diminué ! A budget constant, facile de monter le tarif de chaque acte… Et au passage, autre succès de la T2A : depuis son instauration, les dettes des hôpitaux ont triplé, passant de 9 à 30 milliards de 2002 à 2013.
Bien sûr, des économies sont à faire sur les mauvaises pratiques, les gaspillages, les actes inutiles et les mauvaises organisations qui existent. Cependant, bien souvent, ces gaspillages ont été encouragés par les politiques comptables absurdes. La T2A incite à multiplier certains actes ou à hospitaliser à tort et à travers, elle encourage la pratique d’actes médicaux tous azimuts, y compris les moins pertinents car les services sont contraints d’aller chercher l’argent par tous les moyens.
Puisque l’on parle de l’organisation du système de santé, comment passer sous silence la suppression scandaleuse de l’obligation de garde en médecine de ville en 2002 par la « loi Mattei » ? Une aberration démagogique qui a multiplié par deux les passages aux urgences ![14]
Exode à l’hôpital
Il faudrait évoquer longuement le poids croissant des personnels administratifs qui ne sont là que pour faire respecter les contraintes budgétaires et gérer l’hôpital comme une entreprise. Ici, c’est le mode d’organisation de la « gouvernance » qui détermine une certaine orientation générale de l’hôpital public. Plus important, les baisses de personnels impliquées par ces politiques purement financières de gestion de la santé. Ceux qui restent sont soumis à une pression insupportable. Au-delà des coupes budgétaires qui réduisent les personnels médicaux et paramédicaux, on assiste à une véritable fuite des personnels. Plus personne ne veut travailler à l’hôpital, les jeunes médecins ne songent qu’à le quitter le plus vite possible, les infirmières l’évitent comme la peste, les plus expérimentés aspirent à goûter les joies du privé… Une crise d’attractivité sans précédent. Les salaires, anormalement bas, surtout ceux des paramédicaux (infirmiers et aides-soignants), n’expliquent pas tout. Les conditions de travail sont à ce point inhumaines que des hausses de salaire n’endigueraient que trop partiellement cet exode. Etre mieux payé mais se crever à petit feu au boulot, pas de quoi attirer les foules. Les mouvements grévistes, par exemple de Collectif Inter Hôpitaux ou la CFDT, réclament une hausse de salaire de 300 euros pour les personnels soignants. A peine de quoi revaloriser le salaire moyen des infirmières au niveau moyen de l’OCDE – en effet, les infirmières françaises sont sous-payées par rapport à la moyenne de l’OCDE. Que propose le gouvernement face à ça ? Des primes conditionnées et ciblées selon les territoires. Exemple : 800 euros de primes annuelles pour les paramédicaux d’Ile-de-France. Pour les autres ? Que dalle. Pratique les primes : d’un elles ne comptent pas pour la retraite et de deux s’il est facile de les accorder, il est encore plus facile de les retirer aussi sec. Alors que toucher au salaire… Et cela, alors que le point d’indice des fonctionnaires n’a augmenté que d’1,2% depuis 2010 et qu’il a été, pour la énième année consécutive, gelé en 2020 ![15] Pour une inflation moyenne aux alentours de 1%… par an ![16] Revaloriser les salaires est la seule façon de redonner un peu d’estime et de reconnaissance à ces métiers si essentiels. Et de leur faire recouvrer un peu d’attractivité.
Je ne parlerai ici que rapidement du déficit de médecins formés, alors que le numerus clausus était justement l’invention du siècle pour ajuster en temps réel l’offre de jeunes médecins à la demande. Belle réussite ! Le désastre est anticipé depuis des années, et depuis des années, nos dirigeants ne font rien. Le nombre de médecin augmente très légèrement, mais avec en parallèle une diminution du temps médical effectif, une complexification des prises en charge, un accroissement démographique certes modéré etc., le besoin médical a augmenté considérablement ! Ajoutez à cela un saccage fort bien orchestré de certains territoires ruraux – voire urbains –, vous avez tous les ingrédients de la désertification médicale massive que l’on subit. La pénurie, couplé au défaut d’attractivité a également un coût à l’hôpital qui recourt massivement à des intérimaires payés bien plus chers que des praticiens titulaires – jusqu’à un millier d’euros par jour !
La perte de sens du métier de soignant à l’hôpital public est criante. Ce n’est pas qu’une question de rémunération, loin de là. Moins de personnels, c’est moins de temps à consacrer à chaque patient, que l’on soit médecin ou paramédical. Donc l’impression de ne pas prodiguer les soins nécessaires. Et au-delà du nombre de personnels, il y a la prolifération bureaucratique qui entrave le moindre acte de soin. Soigner un patient, c’est consacrer une grande partie de son temps en tâches bureaucratiques. Le temps médical effectif décroît à cause de cet amoncellement continu de paperasserie imbitable ou de missions administratives sans but. L’on tournoie comme des derviches errants, l’on s’affaire comme des insectes qui grouillent, l’on s’épuise[17]…
Le point de non-retour
De tout cela, la Ministre ne parle pas. Trop occupée à faire de beaux discours, elle se fiche bien de l’agonie de l’hôpital public. Ou plutôt, elle s’en félicite sans doute. Les « coups de pouce » du gouvernement ne régleront aucun problème. Le système de santé français va continuer de sombrer, jusqu’au jour où les patients en pâtiront vraiment. Jusqu’à présent, les soignants font leur maximum pour que les patients aient à subir le moins possible l’incurie organisée. Ils prennent sur eux, mais sont sur le point de craquer. Les premiers en ligne de mire, car travaillant dans les services les plus sensibles, au centre de l’appareil de santé, sont les personnels des urgences. Les urgences sont à l’interface de la médecine de ville et de l’hôpital, ils drainent tous les profils de patients, toutes les pathologies, des plus graves au plus bénignes, ils sont structurellement en rapport avec la souffrance, la mort, l’imprévu, la fatalité… Ils sont un concentré de la nature et de la condition humaines. Rien d’étonnant à ce que toutes les difficultés rejaillissent en priorité sur eux, à la fois les problèmes de la médecine libérale, et à la fois ceux de l’hôpital. La situation catastrophique des urgences témoigne de tous les dysfonctionnements parfois mis sous le tapis. Or, pour le moment, en dépit des patients qui s’accumulent dans les couloirs, des délais qui s’allongent, des durées de prise en charge qui se raccourcissent, et de tout le reste, aucune vraie crise sanitaire ne s’est vraiment produite. Non pas parce que tout va bien, mais parce que les personnels compensent en travaillant d’arrache-pied et sans compter, et parce que les conséquences de tous ces petits problèmes qui s’agrègent les uns aux autres ne sont visibles la plupart du temps qu’après coup : un patient mal pris en charge ou sorti trop tôt devra être hospitalisé une fois de plus pour rattraper le coup, ou bien développera des complications à moyen terme, ou bien récidivera, ou bien plus grave encore… Tout cela passe la plupart du temps sous les radars… Jusqu’au jour où les erreurs ne pourront plus être récupérées, jusqu’au jour où il y aura tellement de patients sur des brancards dans les couloirs qu’ils finiront par y mourir, jusqu’au jour où il faudra renvoyer les gens chez eux faute de place et qu’ils y mourront… C’est cela qui nous attend.
Alors que faire ? Des grèves qui ne font peur à personne ? Car, avouons-le, les soignants qui font grève vont quand-même travailler et soigner des gens. Ils mettent un brassard, écrivent en gros sur leur blouse “EN GREVE”, mais rien ne se passe. Tout continue presque comme d’habitude. Alors effectivement, ces mouvements ne font peur à personne… Et quand un rapport de force est à ce point défavorable, il ne faut rien espérer. La seule solution sera sans doute de durcir les choses. Que les soignants aillent sur leurs lieux de travail mais ne fassent rien, qu’ils refusent d’exercer. Ils ne pourront pas être réquisitionnés manu militari par la police car ils seront présents, mais feront comme les ouvrier de jadis : occupation des locaux, mise à l’arrêt de l’outil de travail (en l’occurrence : eux-mêmes). Les médecins sont appréciés par la population, qui trouve leur combat légitime – les enquêtes le prouvent. Mettons à profit cette sympathie. Alors oui, il risque d’y avoir des morts. Oui, la conscience professionnelle sans faille des professionnels du soin en prendra un sacré coup. Mais c’est la seule chose à faire. Ce gouvernement, entré dans une phase de radicalisation autoritaire, ne pliera que si on lui fait vraiment peur, que s’il encourt l’embrasement généralisé. Préparons-nous à des sacrifices inédits – un lutte pour notre survie s’est engagée, nous ne devons pas la perdre.
[1] Incidence du suicide chez les médecins : 14% contre 5,4% dans la population générale de même âge.
[2] 50% des médecins français seraient en burn-out selon l’étude Burnout in French physicians: A systematic review and meta-analysis, Z. Kansoun et al., 2019.
[3] Lorsque des représentants d’un des segments les plus établis de la bourgeoisie en viennent à descendre dans la rue, c’est que quelque chose ne va vraiment pas… Plus qu’un petit effort pour qu’ils consentent à se mélanger aux autres mouvements, notamment issus des syndicats de « gauchistes » (FO, CGT…).
[4] https://www.vie-publique.fr/discours/272094-edouard-philippe-21112019-plan-hopital-reforme-des-retraites
[5] https://www.vie-publique.fr/discours/272005-muriel-penicaud-21112019-compte-formation-plan-hopital-retraites
[6] https://www.vie-publique.fr/discours/272063-gerald-darmanin-22112019-politique-gouvernementale
[7] https://www.bastamag.net/Ces-grands-groupes-de-sante-prives-qui-comptent-bien-profiter-de-l-agonie-de-l
[8] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/cns2019.pdf
[9] https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/10/07/un-hopital-public-pourrait-pour-la-premiere-fois-etre-repris-par-le-prive_6014465_3224.html?fbclid=IwAR2fE7p0CA4A0RlGWaumXluby1ismyDxbynu9e-EAK2IEBdjIcN92C9vOMo
[10] Gestion en bon père de famille : réduire l’impôt sur la fortune, créer un bouclier fiscal pour les plus riches, faire des cadeaux aux grandes entreprises sous forme de crédits d’impôt, réduire les APL, augmenter la CSG… Drôle d’idée de la famille…
[11] https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/11/20/le-gouvernement-presente-un-plan-pour-sortir-l-hopital-public-de-la-crise_6019849_3224.html
[12] https://solidarites-sante.gouv.fr/professionnels/gerer-un-etablissement-de-sante-medico-social/financement/financement-des-etablissements-de-sante-10795/article/financement-des-etablissements-de-sante
[13] https://twitter.com/i/status/1217161537028337667
[14] https://www.senat.fr/rap/r16-685/r16-6855.html
[15] https://www.marianne.net/economie/gel-du-point-d-indice-en-2020-55-millions-de-fonctionnaires-au-pain-sec
[16] https://france-inflation.com/inflation-depuis-1901.php
[17] https://www.lequotidiendumedecin.fr/archives/la-recherche-du-temps-medical-perdu
Merci d’avoir lu cet article, si vous l’avez apprécié, n’hésitez pas à le partager sur les réseaux sociaux, ou à le commenter en bas de page !
Pour ne rien rater de nos prochaines publications pensez à vous abonner !
Vous souhaitez soutenir Phrénosphère ? Vous pouvez faire un don !