Législatives 2024 : le macronisme a gagné

Macron est content de lui, il nous a lancé sa « grenade dégoupillée dans les jambes »[1], la dissolution et nous regarde courir dans tous les sens, en panique, les bras vers le ciel. Il a sorti le pop-corn. Les réactions de la classe politique ne se sont pas fait attendre : création à la hâte du Nouveau Front Populaire à gauche, éclatement du parti de droite Les Républicains grâce à Eric Ciotti, fracturation de certains éléments de la majorité présidentielle, reniements en cascade du Rassemblement National… Le premier tour a ajouté à la cacophonie généralisée : désistements à n’en plus finir pour contrer à tout prix le RN, concours de celui qui allait le plus retirer de candidat pour prouver son appartenance au front républicain, fracturation du même front du côté macroniste, poursuite des reniements au RN, découverte du musée des horreurs des candidats, toujours de ce même parti, oscillant entre le nazisme décomplexé, le racisme étalé au grand jour ou la débilité la plus profonde, dislocation du Nouveau Front Populaire, saillies anti-mélenchoniennes de Ruffin… tout y est passé.

Par le grand jeu des désistements dans les triangulaires, il est probable qu’on évite ce que les éditorialistes et les politiciens appellent « le pire »[2], à savoir une majorité absolue pour le RN. Tout le monde, dès lors, reste les bras ballants en prédisant une Assemblée tripartite incapable de gouverner. Pas de gagnants disent-ils, le pays sera ingérable. On en appelle même à un « gouvernement technique », composé uniquement d’experts, chargé d’expédier les affaires courantes et ne faisant pas de politique. C’est oublier que les « experts » sont, dans le domaine économique en particulier, tous des (néo)libéraux – on imagine mal Michael Zemmour placé, en tant qu’expert, à la tête de Bercy… – qui défendent le système et font, bien évidemment de la politique sans le dire. Mais l’hypothèse que je veux défendre ici est que, quels que soient les résultats de l’élection d’aujourd’hui, Macron, ou plutôt le macronisme, sera le grand vainqueur. Et ce n’est pas réjouissant.

Macron et l’extrême droite

Si le RN gagnait ? Je veux parler d’une majorité absolue ou presque. Bardella Premier ministre. Au-delà du profond dégoût que cela inspire, il faut bien voir qu’il n’y pas de grande incompatibilité d’idées ni de programme entre Macron et Bardella. Il est grand temps de le dire explicitement : Emmanuel Macron est un Président d’extrême-droite. Bien sûr, cela choque mais regardons froidement les choses. Premièrement d’un point de vue tactique : on l’a assez dit et répété, Macron n’a eu de cesse de faire monter l’extrême droite – pour servir ses propres intérêts électoraux soi-disant. Les autres qui veulent à tout prix faire monter l’extrême droite… c’est l’extrême droite elle-même. Quelle est la différence ici entre Macron et les autres ? Aucune. D’un point de vue personnel, Macron vient de la droite, la droite dure, celle qui tache. Dès le début, ses accointances avec Philippe de Villiers sont claires, son admiration pour les régimes autoritaires et césaristes l’est tout autant etc. Je vous renvoie ici vers les différents travaux de journalistes d’investigation qui ont fait un minutieux travail pour démontrer cette étroite proximité : « Macron, en marche vers l’extrême droite ? »[3] sur Off Investigation, par exemple. D’un point de vue politique, enfin, c’est plus qu’évident : répression féroce des mouvements sociaux des Gilets jaunes aux mégabassines en passant par la réforme des retraite, des morts, des mutilés, des garde-à-vue arbitraires, limitation de la liberté de manifester, surarmement des forces de l’ordre, techniques de maintien de l’ordre visant à créer le désordre, Darmanin nommé Ministre de l’Intérieur, pour le coup un authentique homme d’extrême-droite fascistoïde, loi sécurité globale, enfermement de journalistes, menace du secret des sources, loi immigration, pass sanitaire et milliers de morts évitables du COVID, et sur le plan économique brutalisation néolibérale sans précédent de la société avec la réforme des retraites, destruction accélérée des services publics, austérité, hausse de la pauvreté, réformes successives du chômage, détricotage de l’écologie… La politique menée est celle d’une droite dure voire très dure. D’autres ont mieux que moi dressé la liste des politiques autoritaires et liberticides de Macron, voyez Dissoudre de Pierre Douillard-Lefèvre.

Tout le monde s’effraie de ce que le RN pourrait faire, une fois au pouvoir, des lois liberticides prises par Macron, sans s’effrayer de ce que Macron en fait lui-même ! Le problème n’est pas ce qu’on pourrait faire d’une loi liberticide, mais le fait même qu’elle soit adoptée et mise en place ! Et c’est bien Macron qui a fait voter quantité de lois scélérates, pour son propre usage, pas le RN. Pas besoin d’une extrême droite estampillée comme telle au pouvoir pour qu’une politique d’extrême droite soit menée. D’autant que la pente autoritaire dévalée par Macron ces derniers mois est de plus en plus raide.

Cette proximité entre Macron et le RN (sauf sur la question européenne) est d’autant plus claire maintenant que ce dernier a renié l’essentiel des mesures qui l’opposaient vraiment à Macron. Bardella ne souhaite plus abroger la réforme des retraites, il ne souhaite plus sortir du marché européen de l’électricité, il ne souhaite plus supprimer la TVA sur les produits de première nécessité… tout comme depuis des années le RN a abandonné toute critique sérieuse de l’Union européenne… Les différences programmatiques sont de degré, certainement pas de nature. Un peu plus de racisme, un peu plus d’autoritarisme… mais Macron y serait allé de lui-même si on l’avait laissé faire vu la pente que prenait sa politique.

En d’autres termes, non seulement voter Macron c’est voter pour celui qui fait tout pour faire monter l’extrême droite – drôle de barrage –, donc c’est tout sauf un voter contre l’extrême droite, mais pire, c’est voter pour celui qui met en place une politique d’extrême droite sur bien des sujets. Dans le premier cas de figure, donc, d’une victoire du RN, Macron n’aurait pas perdu : ce serait la continuation de sa politique par d’autres moyens.

Le Nouveau Front Populaire ou comment le renouveau du macronisme

Dès l’annonce de la dissolution, François Ruffin a appelé, dans un coup de génie dont il a parfois le secret, à une union de toute la gauche autour de la bannière du Nouveau Front Populaire. Franc succès puisque les partis auparavant ouvertement opposés se sont unis derrière un programme commun relativement ambitieux[4], y compris, et c’était une excellente surprise, le NPA (fraction l’Anticapitaliste).

Pourtant, le ver était dans le fruit : le NFP agrégeait aussi François Hollande, un ennemi d’hier dont la politique était en fait un prélude à celle de Macron, Aurélien Rousseau, ministre macroniste et bon nombre de socialistes ou écologistes tout à fait « Macron-compatibles », faisant pencher le centre de gravité de l’alliance du côté de la social-démocratie – ce que, justement, la gauche radicale s’efforçait à juste titre de détruire. Le NFP, dès le début risquait de recréer une sorte de Parti Socialiste à l’ancienne, stérilisant toutes les propositions radicales.

Mais il y a pire. Rapidement, Gabriel Attal, sentant la défaite dans les urnes pour son camp mais aussi la majorité absolue qui s’éloignait pour le RN, proposait la création d’une « Assemblée plurielle ». Plus tard, il confirme : « les Français attendent qu’on se parle, qu’on travaille ensemble au service des Français, qu’on dépasse un certain nombre de clivage »[5]. Il souhaite des « majorités de projets »[6] dit-il. Bien sûr, pour l’instant, il n’est pas question formellement d’alliance avec le NFP, pourtant on a déjà commencé à voir les écolos, les socialistes et jusqu’à Ruffin s’écarter progressivement de La France Insoumise afin de mieux la corneriser. L’objectif est évidemment de préparer la suite. S’allier avec les socialistes de la trempe de Hollande, c’est s’allier avec un parti de traîtres professionnels. Que font les traîtres ? ils trahissent, et soyez sûrs qu’ils trahiront la première occasion venue. La trahison se prépare déjà sous nos yeux. Une fois désolidarisés de LFI, les écolos, socialistes et communistes n’auront aucun mal à faire amende honorable et à s’allier avec les macronistes. Ceux-là, d’ailleurs, préparent aussi une possible alliance, la preuve, Gabriel Attal a souhaité donner des gages à la gauche en suspendant la réforme de l’assurance chômage qu’il avait pourtant voulu faire passer à toute force après la dissolution. Ses proches le disent, il s’agit « d’un premier acte de Gabriel Attal dans l’esprit des futures majorités de projets »[7]. Ne doutons point que des abrutis (de gauche) à la mémoire courte, s’y laisseront prendre.

Bref, les traîtres du NFP et les macronistes recréent peu à peu l’ambition de l’Emmanuel Macron de 2017, celle d’En Marche ! Dépasser les clivages, être et de droite et de gauche, réunir le « camp de la raison », être pragmatique pour le bien des français etc. Vous aurez reconnu la rengaine. Ainsi, il n’est pas impossible que se réalise le projet macroniste que les observateurs avisés avaient vu venir dès 2017 : disloquer la droite pour en absorber une partie, disloquer la gauche pour en absorber une partie et former une large majorité composite. Cette élection aura définitivement clarifié les positions des Républicains avec la défection de Ciotti et de la frange d’extrême droite, tout comme elle aura peut-être achevé la scission des « gauches irréconciliables » de Manuel Valls – qui se sont réconciliées le temps d’une alliance électoraliste et d’une trahison. Et même minoritaire en nombre de sièges de députés, cette alliance reste possible tant qu’elle n’est pas menacée par une motion de censure. Or, une motion RN ne sera jamais votée par LFI, et le RN n’a de toutes façons pas intérêt à dissoudre un gouvernement qu’il battra facilement en 2027, et d’autant plus facilement que ce sera une alliance politicienne qui aura au le pouvoir dans l’intervalle. Dans cette perspective-là également, c’est finalement Macron qui gagne.

Enfin, je n’exclue pas non plus, si besoin était, une alliance entre le parti macroniste et le RN à l’Assemblée. Pour toutes les proximités idéologiques qu’on a dites, pour aussi la stratégie réussie de dédiabolisation du RN et la stratégie tout aussi réussie de diabolisation de LFI par le gouvernement lui-même.

Tout cela confirme nos analyses précédents : rien de bon ne peut sortir d’institutions non démocratiques, vérolées et véreuses jusqu’au trognon. Les élections ne sont qu’une farce, un simulacre, une confiscation. Cela ne nous mènera qu’à la victoire du RN bien sûr, avec tout le déchaînement de violence que cela engendrera[8], mais surtout, cela nous fait précipite encore plus dans les ténèbres de l’autoritarisme et de la guerre civile. Ces prophéties sont les nôtres depuis des années, on les voit se confirmer d’élection en élection en frémissant. Le travail qu’il nous faudra alors accomplir est immense…


[1] https://www.lavoixdunord.fr/1473421/article/2024-06-15/je-leur-ai-balance-ma-grenade-degoupillee-dans-les-jambes-emmanuel-macron-ravi

[2] Je vous renvoie à mon article A quoi bon faire barrage ?, qui revient longuement sur cette rhétorique du pire.

[3] https://www.youtube.com/watch?v=G43ZVd7wN60

[4] Précisons qu’il s’agit d’un programme certes de rupture, mais avec le macronisme, certainement pas avec le libéralisme, le capitalisme ou l’économie de marché. C’est un programme bêtement keynésien, qui ne paraît d’extrême gauche que parce que Macron applique une politique économique elle-même extrême, celle de l’extrême (néo)libéralisme. C’est en fait un programme de gauche réformiste, moins de gauche que le Programme Commun de 1972.

[5] https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/legislatives-2024-les-francais-attendent-qu-on-depasse-un-certain-nombre-de-clivages-explique-le-premier-ministre-gabriel-attal_6647619.html

[6] https://www.lesechos.fr/elections/legislatives/legislatives-2024-gabriel-attal-suspend-la-reforme-de-lassurance-chomage-2104864#:~:text=%C3%89lections%20l%C3%A9gislatives-,L%C3%A9gislatives%202024%20%3A%20Gabriel%20Attal%20suspend%20la%20r%C3%A9forme%20de%20l’assurance,r%C3%A8gles%20d’indemnisation%20du%20ch%C3%B4mage.

[7] Idem.

[8] Une Assemblée RN me fait bien moins peur que ce qui se passera dans la rue. Après tout, sur le plan politique, le RN et Macron, je le redis, sont dans la même continuité. L’extrême droite au pouvoir, on connaît. En revanche, le déferlement de rassemblements fascistes, d’authentiques néo nazis, les ratonades, les homosexuels agressés, les femmes violentées, le racisme décomplexé, la violence débridée, ça, ça fait vraiment peur. Nous l’avions vu venir depuis des années, personne ne nous écoutait. Nous y sommes.

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