La Maison du Chat-qui-pelote – Honoré de Balzac


La Maison du Chat-qui-pelote

Honoré de Balzac

1830


La Maison du Chat-qui-pelote a la lourde tâche d’ouvrir La Comédie Humaine. Premier roman des Scènes de la vie privée, qui est elle-même la première partie des Etudes de mœurs, la première, et plus grosse section de l’œuvre. Ce roman est donc comme le frontispice d’un  formidable ouvrage, énorme dirait Céline, terrible dans sa grandeur. C’est aussi l’une des premières œuvres écrites par Honoré de Balzac, en 1829. Bref, tout fait de La Maison du Chat-qui-pelote un roman exceptionnel.

Tourner le dos à l’autobiographie

Pourtant, ce petit roman semble trop fragile pour supporter le poids d’un tel monument, fait de milliers de pages romanesques, de style, de pensée, d’histoires et d’Histoire, de vie et de mort, de violence, de grandeur et de misère : c’est-à-dire, plus vaste que l’Univers lui-même, la littérature. Initialement intitulé Gloire et malheur, ce petit roman ouvre donc La Comédie Humaine. Ce roman est en grande partie autobiographique. Balzac resta marqué toute sa vie par le sort tragique de sa plus jeune sœur Laurence, qui est un écho direct de celui de l’héroïne du roman. De plus, la dédicace du livre renvoie à une autre jeune fille, une connaissance de Balzac, dont la mère avait subit peu ou prou la même destinée.

Balzac nous raconte la vie de ses oncles, des marchands de tissus, et puise dans les mœurs rigoureuses et contraintes de sa famille un exemple pour celle de la famille Guillaume. Mais la vie de l’auteur ne suffirait pas à expliquer l’œuvre, il s’en faudrait de beaucoup. Peut-être est-ce la raison de la place qu’occupe ce roman : il opère la transition entre la vie et l’œuvre ; avec lui, on bascule irrémédiablement dans un univers irréductible à la vie. Il fallait s’émanciper des conditions matérielles de l’existence, s’émanciper de soi-même pour enfanter d’un chef-d’œuvre éternel et intempestif.

Il y a dans ce roman les thèmes chers à Honoré de Balzac dont nous avons maintes fois parlés au cours de notre voyage balzacien. La vie parisienne au-travers de l’existence laborieuse d’un petit commerce de tissu ; la petite bourgeoisie avec ses pédants, ses snobs, êtres vulgaires et boursouflés ; la noblesse ; la peinture évidemment ; l’amour cela va de soi, qui culmine dans la violence et la passion ; la démesure qu’il y a à défier l’ordre presque naturel de la société, démesure à faire fi de sa condition sociale pour s’élever dans une alliance contre nature… Tout cela que Balzac n’aura de cesse de développer tout au long de son œuvre, bâtisseur patient empilant les pierres, les taillant avec son ciseau pour les ajuster au mieux afin qu’elles forment ce palais magnifique que la force de son imagination et la vigueur de ses bras ont porté à l’existence.

Le roman

Un jeune homme scrute l’antique boutique, navire antédiluvien échoué là, bien avant que Paris ne soit même un hameau. Un matin pluvieux, la Maison du Chat-qui pelote s’anime déjà, les commis qui s’amusent, monsieur Guillaume qui prend la pose, les volets qui s’ouvrent… Et Augustine, la fille cadette de la maison, belle et pure, qui apparaît. Le spectateur, dont la silhouette laisse aisément deviner l’ascendance supérieure, fière et un rien désabusée, est un jeune peintre du nom de Théodore de Sommervieux. Il est amoureux. Amoureux comme l’est un peintre de sa muse. Car là est le fond de l’affaire : Augustine est une muse pour lui, on n’épouse pas sa muse… Amoureuse, Augustine va le devenir, contre l’avis de sa famille. Amoureuse d’un peintre, amoureuse d’un noble… Autant de transgressions funestes. Augustine est une jeune femme de dix-huit ans issue d’une vieille famille de marchands, prospère sans doute, riche même, mais régie par d’anciens principes. Une famille dirigée par l’austère et très pieuse madame Guillaume. L’affaire est lucrative, monsieur Guillaume est dur en affaires, il est un marchand pour qui le commerce compte plus que tout. Théodore est un artiste, richissime mais dispendieux, plus soucieux de mondanités et des choses de l’esprit que du devoir conjugal et des nécessités matérielles. L’amour d’Augustine avait de quoi troubler l’ordre parfait du Chat-qui-pelote…

Ce roman exprime tout le génie de Balzac, son style, sa capacité proprement extraordinaire à nous transporter dans le Paris de 1811, encore marqué par la Révolution – que le père Guillaume n’aime guère – et l’influence du Grand Homme, l’empereur Napoléon. Et, comme souvent, une attention particulière est portée aux habits, qui nous renseignent plus précisément sur celui qu’ils habillent que ne le ferait une longue compagnie.

« Monsieur Guillaume portait de larges culottes de velours noir, des bas chinés, et des souliers carrés à boucles d’argent. Son habit à pans carrés, à basques carrées, à collet carré, enveloppait son corps légèrement voûté d’un drap verdâtre garni de grands boutons en métal blanc mais rougis par l’usage. Ses cheveux gris étaient si exactement aplatis et peignés sur son crâne jaune, qu’ils le faisaient ressembler à un champ sillonné. »

Nul autre écrivain n’avait poussé la correspondance aussi loin entre l’être et l’apparaître. Les héros balzaciens sont tout ce qu’ils paraissent. Ils ne débordent jamais de leur costume, costume de tissu ou costume de peau. Nul autre écrivain n’a, non plus, poussé cette correspondance si loin depuis. Car cette idée nous est devenue étrangère et suspecte : arrimer ainsi un homme ou une femme à son apparence, et expliquer l’un par l’autre, nous est intolérable. Injonction ne nous est-elle pas faite de dépasser les préjugés, de ne pas nous laisser enfermer dans notre apparence ? Balzac nous permet de comprendre la vanité d’une telle entreprise… Mais ce n’est pas l’objet de ce roman, ne digressons point.

Balzac rejoindrait sûrement Céline et sa sentence péremptoire : « Il faut payer ! » disait le vieux misanthrope. C’est le sens de la destinée des personnages de la Comédie Humaine, c’est donc aussi le cas d’Augustine. Il faut payer… Balzac ne cesse de faire payer ses personnages, avant tout pour leur bonheur. La félicité, l’amour, la réussite doivent, c’est fatal, se payer.

La Maison du Chat-qui-pelote, en quelques dizaines de pages, mêle, selon son titre original, la Gloire et le Malheur. Il y a dans ce roman comme un air de tragédie, le sort ne peut être dupé, il frappe impitoyablement. Un beau moment de lecture !


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