La nef des fous
Des nouvelles du Bas-Empire
Michel Onfray
Bouquins, 2021
Notre civilisation fournit chaque jour qui passe mille symptômes de sa déchéance – morale, politique, artistique, intellectuelle. On peut s’en désespérer, on peut aussi en rire, d’un rire acide et sans joie. La nef des fous dresse le portrait, au jour le jour, de cette déchéance civilisationnelle, de ce nihilisme en acte qui s’ignore, déguisé en lutte contre l’oppression systémique (au choix : racisme, patriarcat etc.) ou bien en dogme écolo-bobo ou encore en volonté de ne pas faire de vagues. Toutes ces lâchetés et ces délires quotidiens sont l’occasion pour Michel Onfray d’une sorte d’éphéméride qui consigne chaque jour ou presque un de ces symptômes, poursuivant son œuvre de déconstruction de notre époque par l’ironie et la satire.
Il est bon de se plonger dans tous les délires d’une époque, et la nôtre en regorge. Délire est bien le mot, car ce qui caractérise cette pathologie psychiatrique est son refus du réel. Délire paranoïaque ou schizophrénique, délire mélancolique ou maniaque, dans chaque situation, c’est la réalité qui est abolie. Voilà qui décrit au mieux l’état de décomposition quasi psychiatrique de notre civilisation.
« Samedi 20 mai
Placement de produit
Un youtubeuse américaine suivie par sept cent mille personnes s’est séparée de son enfant autiste chinois adopté trois ans plus tôt. » Etc.
« Lundi 13 juillet
Encore, encore…
Le New York Times, arbitre des futures élégances françaises, annonce à ses lecteurs que, désormais, la rédaction écrira Black avec une majuscule et white avec une minuscule. » Etc.
Deux exemples pris au hasard. Faits divers ? Evénements microscopiques et disparates ? Pas si sûr. Car entre les délires racialistes, féministes (création d’un « Manneken-Pis féministe » à la vulve « virile » selon le mot de la créatrice…), islamistes ou islamo-gauchistes pour employer un mot à la mode, écolos (Greta Thunberg déclarée « successeur du Christ » par l’Eglise de Suède…) et tant d’autres, une cohérence apparaît, celle, justement, d’une civilisation rongée par le « relativisme », le « politiquement correct », c’est-à-dire : la folie libérale poussée à l’extrême. Michel Onfray choisit, dans La nef des fous, l’ironie pour nous mettre sous les yeux les délires glanés au fil de l’actualité qui, en fin de compte, racontent la société tout entière.
Les cibles de Michel Onfray ? En premier lieu l’incommensurable lâcheté des pouvoirs publics et du clergé médiatique, en particulier face à la montée de l’islamisme. La caricature cède alors le pas à la stricte réalité crue, tant la réalité est elle-même caricaturale. Notre époque a en effet la caractéristique étrange d’aller toujours plus loin que la caricature : ce que l’on imaginait hier comme une blague est aujourd’hui (presque) banal.
« Mardi 29 septembre
Aide sociale au terrorisme
Le jeune Pakistanais qui a agressé au hachoir deux personnes qui fumaient une cigarette au pied de l’ex-immeuble de Charlie Hebdo en souhaitant lui aussi venger le Prophète […], avait bénéficié de l’aide sociale à l’enfance dès son arrivée dans le pays en 2016. Il a aujourd’hui vingt-six ans.
C’était alors un enfant de vingt-deux ans. »
Récit laconique d’un fait ubuesque, sans fioriture : l’absurde parle de lui-même. L’ironie arrive comme une saillie finale pour parachever le tout, une sorte de coup de poignard dans un cadavre encore chaud. Car notre monde est bel et bien cadavérique.
L’effet des jours qui se succèdent, apportant leur lot d’insanités, a de quoi donner le vertige. Sommes-nous donc déjà tous fous ? Une question qui pourrait donner envie de se retirer du monde pour se contenter de le toiser de haut en rigolant. Mais on peut aussi choisir l’attitude inverse : tâcher coûte que coûte de préserver d’infinitésimales parcelles de raisons et de recréer autant que faire se peut du politique – car c’est finalement un monde radicalement dépolitisé que dépeint La nef des fous. Le déni au cœur de tous les autres, de toutes les lâchetés, les accommodations, les arrangements, est le déni du politique. C’est pourquoi les hommes et femmes politiques se succèdent finalement dans ce manège au même titre que des journalistes, des activistes, des people, des artistes autoproclamés… tous ensemble réunis dans le même spectacle, pour reprendre le monde de Guy Debord : un spectacle de fous…
L’humour est omniprésent dans La nef des fous, on sourit souvent, on rit parfois. L’art de la chute, du second degré, du contre-pied… Au-delà de l’analyse civilisationnelle, c’est la première qualité de cet ouvrage. L’analyse, justement, est conduite de façon souterraine. Chacun en prend pour son grade, avec cruauté quelques fois, mais la plupart du temps avec justice. Car après tout, ce n’est pas de la faute du caricaturiste si son modèle est si repoussant…
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