
En finir avec les présidents
Olivier Besancenot
Seuil Libelle, avril 2025
« Notre rôle démocratique », écrit Olivier Besancenot, « semble parfois assigné à résidence : voter tous les cinq ans pour désigner un nouveau roi, comme si ce roi, seul, pouvait nous sauver de son propre royaume. » (p. 13) Phrase magnifique et juste : aucun roi ne peut ni ne veut nous sauver de son propre royaume – fût-il un roi élu. Le royaume et le roi ne sont qu’une seule et même chose, on n’abolira le royaume et son cortège de servitude qu’en abolissant le roi qui le gouverne. Voilà la leçon de ce petit opuscule, En finir avec les présidents.
Un poison mortel s’est insinué dans notre soi-disant démocratie : l’idée d’un homme providentiel, la figure d’un sauveur qu’il nous faudrait porter au pouvoir pour qu’il déjoue les lourdeurs de l’Etat et les blocages institutionnels, pour qu’il mette en œuvre sa volonté bienveillante et exerce son génie courageux au service de la nation. Toute la vie politique gravite autour de ce mythe d’une figure salvatrice que le bon peuple n’aurait qu’à adouber. La Vème République est construite autour du roi-président, c’est la raison pour laquelle on parle d’une monarchie présidentielle. Le Président a tellement de pouvoir, un pouvoir quasiment discrétionnaire et hors de contrôle, que tout passe par lui, en fait ou en tous cas en droit. Il est, selon la formule consacrée, « responsable » – bien que, juridiquement il soit « irresponsable ». C’est le sens de la formule du Président Macron : « s’ils veulent un responsable, il est devant vous, qu’ils viennent le chercher »[1]. Un responsable irresponsable au pouvoir démesuré, cela a de quoi attiser les convoitises, les jalousies et faire passer au second plan toutes les autres institutions qui font, en regard, pâle figure. « Le Saint Graal se trouve à l’Elysée, et le sceptre de la monarchie présidentielle dans le Salon doré. Alors, les courtisans font ce qu’ils savent faire : ils courtisent. » (p.9)
Il n’y a qu’un seul enjeu pour les partis politiques et les commentateurs : l’élection présidentielle, car c’est la seule qui compte vraiment. Voilà qui stérilise tout le jeu démocratique. Car, malgré le simulacre et les fausses agitations des palais, l’Assemblée et le Sénat n’ont de pouvoir que celui que le Président leur concède, on l’a compris comme jamais avec Macron, qui a usé de tous – ou presque – les stratagèmes constitutionnels pour faire taire l’opposition. Le Président a bafoué ouvertement la démocratie avec l’assentiment généralisé des journalistes et la bénédiction de la Constitution : il a piétiné les élections législatives de 2024, il a nié la volonté générale à coups de 49.3 pendant la réforme des retraites, il a éborgné et mutilé les Gilets jaunes, il a comme jamais mis en place une mafia républicaine, il outrepasse sans vergogne le Parlement… Comme l’écrit justement Besancenot, l’Assemblée générale « légifère beaucoup […] mais le volume impressionnant des textes adoptés et le débit sonore de ses débats demeurent inversement proportionnels à son pouvoir réel. Lorsque le pouvoir est entre vos mains, il ne sert à rien de crier » (p.17). En finir avec les présidents enterre la croyance, héritée de Montesquieu, censée légitimer notre « démocratie » participative, de la séparation des pouvoirs : l’exécutif et le législatif ne sont qu’une seule et même chose. Et le judiciaire, bientôt, rejoindra la valse.
En quelques pages, le porte-parole du NPA (branche l’Anticapitaliste) montre comment la démocratie représentative procède de coups d’Etat et de dépossession du peuple. « L’avènement du présidentialisme en France porte depuis longtemps le sceau des coups de force. » (p.27) Au sortir de la Révolution française, avec les premières Républiques, l’Empire bonapartiste et le Second Empire, les Communes de Paris et les révolutions du XIXe siècle, la bourgeoisie a tout fait pour mater les aspirations émancipatrices du peuple et les tentatives de mettre en place de véritables institutions démocratiques. Dans le sang, la démocratie a été réprimée au profit de la représentation libérale qui n’a eu de cesse, depuis, de faire la guerre à la volonté générale et au peuple. Il y a un continuum antidémocratique qui court de l’Empire à la Veme République : le présidentialisme n’est que le « cousin républicain du bonapartisme » (p.29).
Olivier Besancenot colle ses pas dans ceux de Jean-Jacques Rousseau dans sa dénonciation de la fausse démocratie qui est la nôtre. La critique de Besancenot dépasse en effet celle du seul présidentialisme, c’est le fait représentatif lui-même qui est cause, le président étant la figure du représentant suprême. Lorsque, pour Rousseau, « voter pour un représentant c’est disposer d’une souveraineté intermittente »[2], pour Besancenot, avec le présidentialisme, « tout le pouvoir est concentré entre les mains d’un seul homme, le président » (p. 16) : dans les deux cas, c’est bien d’un rapt qu’il s’agit, celui de la souveraineté démocratique. Le président, Macron en fait la triste démonstration, use d’un pouvoir arbitraire, de plus en plus corrompu, au profit de la classe dominante. Besancenot ne l’écrit pas explicitement, mais on le comprend au fil des pages, pour lui, la France n’est pas une démocratie. Et il faut pourtant le noter noir sur blanc : nous ne sommes pas en démocratie, notre régime est une oligarchie élective autoritaire.
Pourtant, contrairement à tous les discours qui légitiment la figure présidentielle en affirmant qu’elle ne fait que combler le vide d’une monarchie décapitée dont le peuple se sentirait coupable et orphelin (un fable stupide au dernier degré…), le présidentialisme « n’est ni immuable ni gravé dans le marbre, et encore moins inscrit dans l’ADN de la république. A ses débuts, cette dernière ignorait le principe même d’une présidence centralisée », rappelle à juste titre Olivier Besancenot. Dans En finir avec les présidents, il montre bien comment tout le XIXe siècle est traversé de mouvements populaires très puissants qui ont, au contraire, rejeté l’idée même d’un homme providentiel et de la concentration du pouvoir. Communalistes, fédéralistes, socialistes, communistes, syndicalistes ont pensé d’autres modes d’exercice du pouvoir : ils ont été systématiquement massacrés pour cela, et des coups d’Etat, orchestrés avec la bénédiction de la bourgeoisie, ont rétablis la figure de l’homme providentiel – empereur, roi ou président. Olivier Besancenot entend renouer avec ces traditions politiques et donne des pistes pour (re)penser une vraie démocratie dont le mouvement ne peut qu’épouser la belle maxime de Proudhon et « s’effectue[r] de bas en haut et de la circonférence au centre »[3], soit l’exact inverse de ce qui se passe actuellement. Communalisme, Assemblée Constituante, révocation des élus, décentralisation, mandats partiellement impératifs, démocratie directe… les idées ne manquent pas, à nous ne nous en saisir car nous n’avons rien de bon à attendre des dirigeants – aujourd’hui moins que jamais, en ces temps troublés où le fascisme monte.
Tout petit livre intéressant, vite lu mais très bien écrit, avec de grandes idées forces pour à la fois critiquer le régime présidentialiste et construire une véritable démocratie sociale, qui demeure l’objectif d’Olivier Besancenot. Bonne lecture !
[1] En pleine affaire Benalla. https://www.leparisien.fr/politique/qu-ils-viennent-me-chercher-quand-macron-communique-a-la-sarkozy-ou-a-la-trump-25-07-2018-7833030.php
[2] THIELLEMENT Pacôme, « Rousseau : la révolution arrive (malgré le complot de Voltaire) », série L’Empire n’a jamais pris fin, épisode 1, Blast, Le souffle de l’info, 6 avril 2025.
[3] PROUDHON Jean Joseph, Les confessions d’un révolutionnaire.
Merci d’avoir lu cet article, si vous l’avez apprécié, n’hésitez pas à le partager sur les réseaux sociaux ou à le commenter en bas de page !
Pour ne rien rater de nos prochaines publications pensez à vous abonner !
Vous souhaitez soutenir Phrénosphère ? Vous pouvez faire un don !