Élections législatives 2022

L’arlésienne du parlement instable


     Après avoir fait un exercice de politique fiction concernant l’élection présidentielle (et parlé un peu de sondages), penchons nous un peu sur le cas des législatives 2022. Plus particulièrement, posons-nous la question de ce qu’il pourrait se passer dans le cas d’une victoire de Marine Le Pen (ou d’Éric Zemmour) à l’élection présidentielle. Le Parlement serait-il de droite ? De gauche ? RN ? Ou serait-il ingouvernable ?

Lien entre élection présidentielle et élections législatives

     Quel est donc le lien entre ces deux élections ? Depuis 2002, les élections à l’Assemblée suivent directement (quelques semaines après) la présidentielle. Les deux ont lieu tous les 5 ans, et leur rapport actuel est gravé dans le marbre (sauf si le président se risque à une dissolution de l’Assemblée, ce qui n’était dans l’intérêt de personne ces 20 dernières années).
     Au millénaire précédent en revanche, les élections législatives n’étaient pas “en phase” avec les présidentielles. Mitterrand dissout une Assemblée qui n’est pas de sa couleur juste après ses deux victoires à la présidentielle, Chirac dissout avec un an d’avance, mais après deux ans de gouvernement très contesté, et les prédécesseurs de Mitterrand n’ont jamais dissout (pas besoin).
     A y regarder de plus près, on se rend compte que les élections législatives qui suivent directement une élection présidentielle voient toujours la victoire du parti du président élu, et permettent un gouvernement stable pour les 5 années qui suivent. Faisons un rapide historique.

Revue des législatives passées

Avant 1981

     Comme on vient de le dire, avant 1981, les élections législatives ne suivaient pas le même calendrier que les élections présidentielles, et la droite gaulliste/centriste remportait toutes les élections nationales. Le temps électoral des débuts de la Vème République n’a pas grand chose à voir avec ce qu’il est devenu de nos jours, aussi nous n’allons pas nous attarder.

1981 et après

     A partir de 1981, l’Assemblée nationale gagne un peu de variété. Mitterrand dissout l’Assemblée dès son accession au pouvoir et en obtient une de sa couleur. En 1986, il instaure les législatives à la proportionnelle intégrale espérant que le vote FN empêche la droite de l’emporter, mais sans succès pour lui.
     Aussitôt qu’il est réélu en 1988, il dissout l’Assemblée, et en obtient de sa couleur (moins claire qu’en 1981 toutefois). Après 5 ans, en 1993, la droite obtient la plus grande victoire de son histoire. Le PS n’obtient qu’une soixantaine de députés.
     Après son élection, Jacques Chirac, pleinement satisfait de sa majorité parlementaire pléthorique, choisit de ne pas dissoudre l’Assemblée nationale (une erreur). Après 2 ans de gouvernement, et encouragé par des sondages qui lui promette une majorité à l’Assemblée, il la dissout. Les sondages se renversent et Lionel Jospin (PS) devient Premier ministre pour 5 ans.
     Les trois élections qui suivent respectent le même schéma. Le président est élu quelques semaines avant des élections législatives qui voient l’Assemblée prendre sa couleur.
     En résumé, tous les élections législatives qui se sont déroulées immédiatement après une élection présidentielle ont toujours vu le parti du président remporter la victoire (1981-1988-2002-2007-2012).
     En 2017, l’arrivée surprise d’Emmanuel Macron sur la scène politique a pu faire douter nombre de personnes (moi compris) du caractère absolu de cette règle. Mais ce fut bien LREM qui remporta l’Assemblée quelques semaines après la victoire de Macron, la confirmant pour la sixième fois.

Législatives 2022

Les hypothèses simples

     Ayant vu toutes les élections législatives jusqu’en 2017, il est temps de nous poser la question des législatives de 2022. Dans quels cas ne seront-elles rien de plus que celles qui les ont précédées ? Dans quel cas les législatives ne feront que valider les présidentielles ? Et dans quels cas cette règle implicite volera-t-elle en éclats, si elle peut voler en éclats ?
     Il y a fort à parier que dans le cas d’une réélection d’Emmanuel Macron ou d’une victoire du candidat LR (Bertrand ou autre), l’Assemblée prenne sa couleur. Si ce ne serait pas nécessairement une élection enthousiaste, il n’y a rien qui nous permette de penser que le peuple se serve des législatives pour contrebalancer son choix à la présidentielle (ce qui, a contrario, n’est pas rare aux Etats-Unis).
     Quid de la gauche ? Si, étant donné son état de faiblesse, la victoire d’un candidat de la gauche paraît improbable, ce n’est pas pour autant impossible. Et dans le cas d’un président ou d’une présidente relativement modérée, l’Assemblée pourrait facilement prendre sa couleur. Dans le cas d’un président aux positions plus radicales, la question se pose, et les résultats des législatives dans ce cas là pourraient ressembler à ceux que l’on obtiendrait suivant une victoire de Marine Le Pen. Donc, les (nombreux) paragraphes qui vont suivre peuvent également s’appliquer dans le cas d’une victoire de Jean-Luc Mélenchon.
     En fin de compte, si un des partis dits “de gouvernement” l’emporte, les législatives ont de très grandes chances de permettre au président de gouverner. Et ces législatives gagneraient probablement le record de la plus grande abstention de la Vème République.

Marine Le Pen élue Présidente

     Dans notre politique-fiction du jour, Marine Le Pen est élue au second tour présidente de la République. Passés les cris d’orfraie et la courte (et hypothétique) panique boursière, se pose la question des législatives. Brusquement, la cohabitation revient dans les mémoires de tous et devient le rêve de “sauvegarde” de la République. Il faut empêcher le RN de gouverner. Mais quelles sont ses vraies chances d’y arriver ?

Les chances de victoire du RN aux législatives de 2022

     Pour répondre à cette question, il faut connaître les circonstances de la victoire à la présidentielle. Si l’on se fie aux sondages et à l’étude sociologique du vote RN, on remarque une division sans pareille dans la politique française. Une partie des électeurs sont là par conviction, et une partie n’est là que par rejet de tous les autres (des gouvernants principalement). Elle aura donc su allier ces deux forces pour l’emporter, mais par combien de voix exactement ?
     Les sondages lui donnent autour de 46 % des voix au second tour contre Emmanuel Macron et à peine au dessus de 40 dans le cas d’un duel contre Xavier Bertrand. Il nous faut donc imaginer un renversement de la situation, une campagne solide de sa part, des évènements facilitant la démonstration de son programme et de sa personnalité. Même avec tout ça, on voit mal une victoire large de sa part.
     Avec sa victoire étriquée (51-49 par exemple), on peut tirer un autre enseignement de l’analyse des sondages. En effet, ceux-ci montrent que les mouvements de votes au second tour (on est passé de 66% des voix pour Macron en 2017 à autour de 54 % en ce moment) ne sont pas un pur transfert de votes de l’un à l’autre. Quand Marine Le Pen gagne une voix, Emmanuel Macron en perd entre 2 et 7 suivant les sondages (l’incertitude est élevée à ce niveau là). Beaucoup choisissent l’abstention ou le vote blanc plutôt que de départager ces deux là (c’est la fameuse fin du barrage républicain qui a tant fait réagir il y a quelques mois). En fin de compte, elle ne gagne que peu de voix (1 à 3 millions ?) par rapport à 2017.
     Donc Marine Le Pen doit sa victoire autant aux votes en sa faveur qu’à l’abstention très élevée de ce second tour (entre 40 et 45 % ? Là encore, beaucoup d’incertitude, mais partons sur cette hypothèse). Malheureusement pour elle, ces circonstances de victoire, et la structure par circonscription ne l’avantagent pas du tout. Le scrutin par circonscription a toujours favorisé les partis de gouvernement, et cela ne risque pas de changer. Marine Le Pen n’a pas été capable de faire élire plus de 17 députés en 2017, alors qu’elle avait 20% des voix au premier tour de la présidentielle, et 34% au second tour. Son nombre de voix n’augmente pas de façon suffisamment importante, et le mouvement médiatique anti-RN a repris toute sa vigueur.
     Et je n’ai pas abordé le grand nombre de circonscriptions simplement ingagnables par le RN (pour des questions de sociologie électorale), à savoir tout Paris, la majorité des grandes villes, la façade atlantique, en particulier la Bretagne, etc…
     Le soir du second tour des législatives est là, et dans notre scénario, le RN ne gagne que 100 à 200 députés (encore des incertitudes ! Décidément c’est difficile de faire de la politique-fiction). En face, les résultats ne sont pas meilleurs. La victoire du RN à la présidentielle leur apporte un assez grand nombre de députés, et complique considérablement la tâche des autres partis, en particulier LREM et LR. La droite divisée (et battue à la présidentielle) ne se remobilise que trop tardivement et partiellement. Pour la première fois de la Vème République, il n’y a pas de majorité claire à l’Assemblée.

Un gouvernement de coalition

     Avec ces résultats peu concluants, qui gouverne ? Dans le cas ou LREM et LR détienne, à eux deux, la majorité (289 députés au moins), ce pourrait être une coalition de droite. Le nom de leur premier ministre de choix n’a pas vraiment d’importance ici, mais leurs chances de le voir être nommé par Marine Le Pen n’est peut-être pas si élevé que cela, j’y reviendrai.
     La possibilité de voir un gouvernement de droite dirigé par le RN n’est pas très probable si l’on considère tous les obstacles qui se tiennent sur la route de l’union des droites. De plus, un tel gouvernement aurait bien plus de chances de voir le jour en cas d’alliance avant même les législatives. Élire un député LR-RN est moins compliqué que d’élire un député RN pour une bonne partie de l’électorat de droite.
     Pourrait-on voir un gouvernement issu d’une coalition de la gauche ? Cette hypothèse paraît peu vraisemblable du fait de l’état de faiblesse conséquent de la gauche à l’heure actuelle, mais dans le cas d’une candidature unique/qui avale les autres, et qui perd au second tour face à Marine Le Pen, ce n’est pas tout à fait impossible. Juste extrêmement improbable (comme un second tour Hidalgo-Le Pen en somme).

Le changement du mode de scrutin

     Marine Le Pen se retrouve donc dans l’impossibilité de remporter les élections législatives. Et ces difficultés structurelles ne vont pas se résoudre en un claquement de doigts. Pour gagner l’Assemblée, elle doit changer les règles. Elle a besoin d’une élection de liste, d’une élection à la proportionnelle.
     Pour être exhaustif, elle a même besoin d’une élection proportionnelle à prime majoritaire, c’est-à-dire que la liste qui arrive en tête récupère automatiquement un certain nombre de sièges. C’est ce qui existe pour les régionales, où 25% des sièges sont octroyés au vainqueur avant de passer à la distribution des autres 75% au prorata de leur score du second tour. Ici, il faudrait au RN une élection de ce type, mais en un seul tour.
     Comment peut-elle changer de mode de scrutin ? Par la loi. Et dans ce cas précis, elle a besoin que l’Assemblée et le Sénat votent la même loi, dans les mêmes termes. Elle a donc besoin de l’accord de ses adversaires politiques pour la mettre en place.
     Explorons donc cette question : ses adversaires accepteraient-ils un changement du mode de scrutin ? A priori, difficile de voir pourquoi ils abandonneraient un système qui les favorise tant et empêche le RN de gouverner. Par ailleurs, pourquoi permettre un scrutin dans lequel le RN a de vraies chances de l’emporter ? Certes, un parti pourrait se sentir pousser des ailes, voir dans de bons sondages et dans un bon moment politique l’assurance de la victoire lors de cette élection modifiée, mais cela parait peu probable (encore une fois, pas impossible, certains politiciens ont déjà fait des paris plus risqués).
     Que se passerait-il si les partis disaient oui à Marine Le Pen ? On aurait une nouvelle élection législative quasi-immédiatement, avec le RN et ses adversaires certains de pouvoir remporter la martingale. En somme, le jeu politique retrouverait une partie de sa normalité, avec la fin de l’impossibilité du RN de conquérir l’Assemblée.
     Si les partis lui disaient non (beaucoup plus probable), alors Marine Le Pen serait condamnée à être une présidente témoin, à la René Coty, sans pouvoir mettre en place la grande majorité de son programme. Et la France serait probablement ingouvernable, ou tout du moins instable.

La dissolution annuelle

     Explorons maintenant ces différents cas d’instabilité. Si Marine Le Pen nomme un premier ministre de la majorité parlementaire (probablement issue d’une coalition), on entre dans une pure logique de cohabitation. Mais jusqu’à quand ? Après tout, en tant que présidente, Marine Le Pen dispose du droit de dissolution. Et elle peut en faire usage une fois par an.
     Ainsi, coincée entre un gouvernement adversaire et une impossibilité de changer la loi, elle n’a plus qu’un espoir : montrer l’impossibilité structurelle pour son parti de gouverner parce que la Vème République ne le lui permet pas, et elle dissout l’Assemblée tous les ans dans l’espoir de finir par l’emporter, ou de forcer un ou plusieurs autres partis à la négociation.
     En effet, un parti venant de prendre une mesure impopulaire sera peut-être plus ouvert à la négociation avec Marine Le Pen pour éviter une dissolution de l’Assemblée, et une raclée dans les urnes. Il est aussi possible que tous les partis soient paralysés par la peur de la dissolution et d’une veste électorale, et que personne ne fasse rien qui puisse fâcher le peuple.
     Dans tous les cas, on se retrouve avec une nouvelle Assemblée tous les ans, possiblement une nouvelle coalition tous les ans, un nouveau premier ministre tous les ans. En somme, c’est le retour de l’instabilité de la IVème République.

Un gouvernement censuré

     Une autre alternative est possible. En effet, une fois élue présidente de la République, Marine Le Pen doit, avant même les législatives, nommer son premier ministre et son gouvernement. Arrivent les législatives consacrant l’incapacité de son parti de remporter l’Assemblée. Faisant face à une Assemblée désunie, elle maintient son gouvernement. Que les députés arrivent ou non à mettre en place une coalition de gouvernement, ils sont presque tous d’accord sur la nécessité de censurer le gouvernement RN, ce qui est chose faite en quelques jours. Mais stupeur, Marine Le Pen refuse de nommer un autre Premier ministre.
     Dénonçant des règles du jeu truquées en sa défaveur, elle exige de l’Assemblée le passage des législatives à une proportionnelle intégrale, et elle refuse de nommer un autre Premier ministre dans le cas contraire. On se retrouve donc dans le cas d’un gouvernement RN censuré par l’Assemblée nationale qui continue d’expédier les affaires courantes pendant plusieurs semaines/mois, tandis que les partis adversaires de Marine Le Pen et elle-même continuent de négocier ou de s’invectiver par médias interposés au rythme d’une dissolution tous les ans.
     Dans un tel cas de figure, certains députés pourraient proposer de destituer Marine Le Pen sous des prétextes possiblement peu valables (et qui ne manqueront pas de démarrer des débats chez les constitutionnalistes, comme son refus de nommer un Premier ministre de la couleur de l’Assemblée). Ainsi, on pourrait avoir une présidente élue lors du second tour de la présidentielle destituée par l’Assemblée qui refait campagne pour être réélue et espérer profiter de cette deuxième élection en peu de temps (quelques mois/quelques années) pour affirmer que sa légitimité est supérieure à celle de l’Assemblée. L’instabilité de la IVème République nous parait presque enviable dans ce scénario.

Conclusion

     Inutile de dire que, au fur et à mesure de cet article, nous sommes allés vers des scénarios de plus en plus improbables, jusqu’à en atteindre un qui secouerait les fondations mêmes de la Vème République. Il n’est pas non plus impossible que certains de ces scénarios se mélangent au fil des années. Un accord électoral entre une partie de la droite et le RN après une ou deux dissolutions apparaît moins improbable que juste après l’élection présidentielle.
     Notons par ailleurs que la situation serait assez similaire si Éric Zemmour était élu. Certes, il a plus d’affinités avec les députés LR, et une alliance législative serait plus probable avec lui, mais pas non plus donnée d’avance.
     Il ne faut pas non plus oublier que nombre de choses peuvent se passer entre maintenant et juin 2022, et que l’élection présidentielle apparaît assez compliquée pour Marine Le Pen, en position de relative faiblesse depuis la défaite des régionales. Nombre de primaires/décisions des partis doivent encore se jouer à la sortie de l’été et jusqu’à la fin de l’automne.
     Rendez-vous donc cet hiver pour voir quels scénarios de politique fiction peuvent se produire dans les mois à venir !


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